Est-il possible de tenir le spectateur en haleine pendant plus d’une heure et demie en filmant juste en temps réel un type ordinaire dans l’habitacle de sa voiture, roulant sur une autoroute londonienne, et en ne faisant progresser l’intrigue que par le biais de quelques appels téléphoniques?
Hé bien oui! Et Locke, le nouveau long-métrage de Steven Knight en est la plus brillante démonstration.
Tom Hardy y incarne Ivan Locke, un ingénieur en travaux publics qui vient de décrocher l’un des plus importants chantiers de sa carrière. Il est en train de monter dans son véhicule pour regagner son domicile, retrouver sa femme et ses fils, et prendre un repos bien mérité, quand il reçoit un appel en provenance d’un hôpital Londonien. Subitement, tout son univers se fissure.
Il commence par annoncer à son patron, stupéfait, qu’il ne pourra être présent sur le chantier le lendemain, quand bien même sa présence est requise pour superviser la réalisation des fondations d’un gigantesque building, un contrat crucial pour l’entreprise.
Puis il appelle sa femme pour lui dire qu’il ne rentrera pas à la maison. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais…
Le récit ne tient que sur ce mystérieux changement de cap et une série d’appels téléphoniques au cours desquels le personnage doit gérer différents problèmes : trouver un remplaçant fiable pour gérer la réalisation des fondations prévue le lendemain au petit matin, tenter de convaincre son patron de ne pas le licencier, avouer à sa femme les raisons qui le poussent à ne pas rentrer et rassurer la personne hospitalisée à Londres, qui réclame sa présence urgente…
Il ne se passe presque rien, mais le résultat est, contre toute attente, captivant, haletant, enthousiasmant. Le film avance en effet à la manière d’un thriller. Le suspense se glisse dans tous les arcs narratifs du récit, et on se demande jusqu’à la dernière minute si le cinéaste va céder à la tentation de la tragédie la plus noire ou laisser à son personnage une petite chance de s’en sortir.
Le reste tient à la grâce du montage, qui multiplie intelligemment les angles de prise de vue, alternant extérieurs nocturnes et plans sur l’intérieur de l’habitacle pour ponctuer la narration et nous immerger complètement dans le film, en nous proposant de prendre la place du passager. On se retrouve aux premières loges pour assister à la descente aux enfers du personnage, bousculé par des forces contraires, écartelé entre le passé, le présent et l’avenir, mais tentant de conserver jusqu’au bout sa droiture et sa dignité humaine. Car, et c’est ce qui fait sa beauté, Ivan Locke s’avère être un type bien, droit et honnête. Il est imparfait et faillible, capable de commettre des erreurs, mais au moins, il les assume pleinement. C’est un homme de principes qui tient ses engagements et n’hésite pas à se sacrifier pour les autres.
Tom Hardy l’incarne avec beaucoup d’intensité et d’émotion, suscitant très vite l’empathie du spectateur et lui donnant envie de connaître la suite de l’histoire. Inutile de préciser que sa performance participe également pour beaucoup à la réussite de cet objet cinématographique atypique.
D’aucuns feront remarquer, à juste titre, que le dispositif n’est pas spécialement novateur. Déjà parce qu’il s’inscrit dans la mouvance d’oeuvres essayant de générer une tension avec un minimum de dialogues et d’effets – on pense notamment au Night moves de Kelly Reichardt. Ensuite parce qu’un film comme Buried, usant d’un concept similaire, était encore plus radical, puisqu’il suivait en temps réel le cauchemar d’un homme enfermé dans un… cercueil. Mais son auteur Rodrigo Cortés, pouvait s’appuyer sur une véritable trame de thriller pour faire monter le suspense. Locke ne repose pas du tout sur les mêmes ressorts dramatiques et a d’autant plus de mérite de parvenir à nous captiver à ce point.
De toute façon, Locke n’est pas qu’un exercice de style purement gratuit et vain. C’est une véritable oeuvre cinématographique, captivante et émouvante, qui a enchanté les spectateurs de la Mostra de Venise cuvée 2013, où il était présenté hors compétition. On vous conseille d’effectuer vous aussi le voyage…
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Locke
Réalisateur : Steven Knight
Avec : Tom Hardy et les voix d’Olivia Colman, Ruth Wilson, Andrew Scott, Ben Daniels
Genre : Un homme, une voiture, un téléphone
Durée : 1h30
Date de sortie France : 23/07/2014
Note : ●●●●●○
Contrepoint critique : Le Journal Du Dimanche
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