C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées.
Il y a un an jour pour jour, le festival Jazz des Cinq Continents proposait un plateau encore dans toutes les mémoires avec Gilberto Gil et Nile Rodgers, on a ce soir sa suite logique et classieuse.
Le présentateur de la soirée ne cache pas sa joie que la soirée ait bien lieu après une journée pluvieuse qui n’engageait rien de bon et précise que c’est la première fois que Sergio Mendes joue à Marseille.
Mieux vaut tard que jamais, après un bon demi siècle de carrière.
Sourire radieux derrière son piano, il est ce soir accompagné de trois choristes, un bassiste, un guitariste, un percussionniste, un claviériste et un rappeur.
Ce dernier sera un peu le maillon faible de la formation, avec des interventions tombant souvent à plat, y compris sur le très attendu "Mas que Nada", comme si les Black Eyed Peas ne l’avaient pas suffisamment salopé en leur temps.
Autre moment un peu ennuyeux du concert, ce "Never Gonna Let You Go" slow dégoulinant de saxo so eighties, qui vieillit beaucoup moins bien que les perles des années 60 et 70 qui constituent heureusement la majorité des titres joués ce soir.
On apprécie, comme pour Gilberto Gil l’an dernier, que le Brésilien s’exprime aussi bien en Français, pour présenter les musiciens et les titres joués, sans oublier de rendre hommage au grand Jobim pour les superbes "Girl from Ipanema" et "Água de Beber" reconnus par une audience aux anges.
"Roda" est également très applaudie, un des moments les plus dansants avant un solo de percussions assez spectaculaire.
Et que dire du sublime "The Look Of Love" de Bacharach, sinon qu’on en aurait aimé une version moins circoncise.
L’alchimie entre les musiciens et les voix y atteindra à ce moment là des sommets, faisant encore plus regretter les moments plus convenus.
Pour une majorité du public dont quelques uns ont esquissé d’élégants pas de danse, c’est un succès indiscutable.
Il est temps de se rapprocher des premiers rangs pour ne rien rater de ce qui suit, pas même découragé par les habituels et désespérants filmeurs en herbe à qui la tête affiche aurait pu balancer "leave your phone and your ass will follow".
George Clinton donc, encore jamais vu en vrai, et pas immédiatement reconnu sans sa barbe et ses dread multicolores (cachés sous sa coiffe ?), avec une vingtaine de musiciens issus de Parliament, de Funkadelic.
Parmi les plus jeunes membres de cette belle famille P-Funk, il y a même une des petites filles de cette légende vivante, finalement peu connue du grand public mais à l’empreinte immense sur la musique actuelle.
Dans le public de ce soir, des jeunes qui ont du télécharger "Give Up The Funk" après l’avoir entendu dans une pub, des moins jeunes qui ont décortiqué les samples utilisés par Dr Dre, et des encore moins jeunes qui se sont découvert en transpirant sur "Mothership Connection".
Guitares furibardes, choristes déchaînées, basse à perforer les tympans, batterie et percussions cataclysmiques, l’introduction est terrible, hérisse les poils et file des frissons dès les première notes : "I bet you" toute en montées vertigineuses histoire de placer la barre très haut dès le départ.
La longue attente pendant le changement de plateau, qui donnait l’impression que le groupe faisait ses balances à l’arrache, n’aura pas été vaine, le trip sensoriel peut commencer.
Un de leurs morceaux demandait "qui a dit qu’un groupe de funk ne pouvait jouer du rock ?", on en a la démonstration jouissive en long, en large et en travers ce soir.
C’est à la fois agressif, sensuel, épuisant mais tellement bon qu’on en oublie que cette année la soirée groove tombe malheureusement un dimanche, bonjour les courbatures le lendemain au taf.
Avec coup sur coup deux des titres les plus emblématiques de la facette dansante du combo, "Flash light" et son refrain aux harmonies sous gaz hilarant enchaîné avec l’irrésistible "(Not Just) Knee Deep", à nous mettre littéralement à genoux devant tant d’énergie.
Si l’accent festif est bien mis en avant au départ, le coté plus sombre du groupe n’est pas oublié pour autant avec le terrible "Maggot Brain" où planent à la fois les ombres d’Hendrix et d’Eddie Hazel.
Ce solo de Michael Hampton, par ailleurs excellent sur tout le concert, est un des sommets de cette soirée, mais à peine remis de nos émotions il va falloir retrousser ses manches et débloquer ses hanches pour un final au delà des espérances les plus folles.
D’abord chanté acapela et repris par les connaisseurs, "One nation under a groove" recentre les ébats avec là une version sujette aux digressions les plus psychédéliques.
Pour mieux nous achever, deux énormes tubes suivent, le précité plus haut "Give up the funk" où tout le monde est invité à sauter, c’est parfait avant d’aller rejoindre le tram se dit on.
Sauf qu’on serait resté un peu en chien sans entendre "Atomic Dog" où c’est la basse de Robert Bunn qui a la vedette, alors que la scène est investie par des chanceuses membres du festival.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette performance qui a duré encore plus longtemps qu’attendu (près de deux heures) et redonné envie d’écouter ces classiques avec, en plus de leurs pochettes déjà cultes, d’authentiques souvenirs visuels plein la tête.