Cette fois, c'est la Grande Bretagne qui débat de la légalisation de l'assistance au suicide. La Cour suprême a conclu le mois dernier que la justice avait le droit de déclarer l'interdiction du suicide assisté incompatible avec les droits humains, et une motion a été mise devant le parlement et débattue par la chambre des Lords la semaine passée. Un groupe de médecins s'est prononcé en faveur de cette motion, suite de quoi l'Association des Médecins Britanniques a réaffirmé son opposition. Même les églises sont divisées. Alors qu'elles se sont traditionnellement opposées à l'assistance au suicide, voilà que des revirements apparaissent. Un ancien évêque de Canterbury s'est prononcé en faveur de la motion, en contrastant "les vieilles certitudes philosophiques" à "la réalité de la souffrance inutile". Même Desmond Tutu s'est prononcé, déclarant qu'il "révérait le caractère sacré de la vie, mais pas à n'importe quel prix"
Il est intéressant à suivre, ce débat. Et par certains côtés il nous parle bien sûr aussi de nous. La législation proposée en Angleterre autoriserait l'assistance au suicide, mais pas l'euthanasie: la personne qui veut mourir devrait pratiquer elle-même le geste ultime. Cette personne devrait être capable de discernement: l'autorisation ne concernerait donc pas les suicides pathologiques, les compulsions suicidaires causées par la maladie mentale. La personne devrait aussi être en état de maladie terminale, définie comme une maladie incurable dont on attend "raisonnablement" qu'elle soit mortelle dans les six mois. Un professionnel de la santé devrait être présent lors du suicide assisté, mais cela n'aurait pas besoin d'être un médecin. Un médecin devrait en revanche certifier que les conditions légales sont requises, et prescrire la substance létale.
Une propositions avec des points communs et des divergences par rapport à notre situation Suisse, donc. Premièrement évidemment, l'autorisation de l'assistance au suicide sans autorisation de l'euthanasie active. Les Britanniques exigeraient cependant la participation de professionnels de la santé, contrairement à nous. Comme nous pourtant, ils distingueraient la prescription létale de l'assistance à proprement parler, et n'exigeraient pas qu'un médecin pratique l'assistance le jour même. Ils exigeraient comme condition un état de maladie terminale. En Suisse, l'Académie Suisse des Sciences Médicales fait de même, mais ni la législation ni la pratique des associations ne l'exigent. C'est un des points de débat dans notre pays.
La situation en Suisse influence évidemment le débat britannique. Actuellement, l'interdiction de l'assistance au suicide en Angleterre pousse chaque année un certain nombre de personnes en fin de vie à prendre 'un aller-simple pour Dignitas'. Ils viennent en Suisse pour y mourir. Les proches qui les accompagnent n'ont souvent pas de garantie légale d'échapper aux poursuites. Même si aucun cas de sanction contre des individus n'a été répertorié dans ces cas, la crainte de devenir complice en étant là, en tenant la main d'une personne aimée, en acceptant sa tête sur son épaule, n'est jamais bien éloignée. Changer la loi anglaise signifierait, entre autres, permettre à ces personnes de mourir chez elles et écarter de leurs proches la peur du tribunal lors de leurs derniers instants.
Un autre point commun est cependant le côté très honnête et humain du débat. Quelques citations extraites des Lords:
"Ceux qui soignent des personnes vulnérables ne connaissent que trop bien ces moments de désespoir noir qui amènent ces paroles: 'je serais mieux mort, tu pourrais vivre ta vie'".
"Si nous aimons vraiment notre prochain comme nous-même, comment lui refuser la mort que nous voudrions nous-mêmes, si nous étions dans les mêmes circonstances?"
"Nous savons tous les mêmes choses, regardons les mêmes enjeux, nous avons tous fait face à des situations semblables lors de la mort de membres de notre famille et de nos amis, et nous sommes arrivés à des conclusions différentes sur ce que signifie la compassion."
En fait c'est exactement cela. Une question profondément partagée, à laquelle nous ne donnons pas tous la même réponse. Face à une question aussi généralement humaine, comment ne pas vouloir une législation qui soit la même pour tous? Face à des réponses aussi différentes, au nom de quoi interdire quoi ? Un débat honnête, oui, et une histoire à suivre.