« Nous avons les médias que nous méritons ». Voila comment se conclut se foisonnant « essai graphique » (ben quoi, on parle bien de « roman graphique », j'ai le droit à mon néologisme, non?) retraçant l'histoire des médias aux États-Unis, de la guerre d'indépendance au conflit afghan en passant par la guerre de sécession, les deux guerres mondiales, le Vietnam et l'Irak. Mais le propos ne se limite pas au traitement médiatique des conflits. Brooke Gladstone décortique les pratiques journalistiques, leur influence, leur asservissement aux politiques et au monde de la finance. Pour autant, elle ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, considérant que le problème vient avant tout du consommateur d'information, c'est à dire de nous : « nous avalons de plus en plus souvent l'info comme des fraises Tagada vautrés dans nos cybercanapés. Nous marinons dans un jus de pseudo-experts, assaisonné seulement des faits et opinion qui nous semblent acceptables. […] Et si les médias que nous choisissons nous abrutissaient aussi ? Et s'ils diminuaient notre capacité d'attention, attisaient nos bas instincts, érodaient nos valeurs, brouillaient notre jugement ? ».
A qui la faute si les JT sont aussi creux, anecdotiques ou hystériques ? Est-ce que les organes d'information doivent donner au public ce qu'il veut ou ce dont il a besoin ? Mais que veut le public ? De quoi a-t-il besoin ? Et existe-il un seul et unique public ? Cette question n'est qu'une parmi tant d'autres. L'ouvrage est pointu sans être indigeste. Toute la partie sur l'objectivité est passionnante, comme celle sur la censure ou les sondages, sans parler de la profonde réflexion sur les réseaux sociaux et le fait qu'aujourd'hui chacun de nous, grâce au net, peut être à la fois consommateur et producteur d'information. Et puis qu'on le veuille ou non, les médias nous influencent en permanence, même quand nous les critiquons ou que nous tentons de leur résister, Brooke Gladstone le démontre brillamment.
Graphiquement, Josh Neufeld (American Splendor), illustre avec simplicité et beaucoup de trouvailles visuelles un texte parfois très envahissant. Au final, La machine à influencer n'est pas un plaidoyer pro médias. Ce n'est pas non plus une charge virulente contre eux. L'analyse est beaucoup plus fine, dense, parfois ardue. Exigeante, quoi. Journalistique diront certain. Dans le sens le plus noble du terme.
La machine à influencer de Brook Gladstone et Josh Neufeld. Ça et là, 2014. 185 pages. 22,00 euros.