Dans son arrêt de Grande Chambre, définitif, rendu le16 juillet 2014, dans l’affaire Hämäläinen c. Finlande(requête no 37359/09), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité :- qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale) ;- qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 12 (droit au mariage) ; et- qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 et l’article 12.La requérante se plaignait de ne pouvoir obtenir la pleine reconnaissance de son nouveau sexe sans transformer son mariage en un partenariat enregistré. Elle y voyait une violation des droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 12 (droit au mariage) et 14 (interdiction de la discrimination).La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 8 juillet 2009.Dans son arrêt de chambre du 13 novembre 2012, la Cour avait conclu à la non-violation de l’article 8.La requérante a alors demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la Convention (renvoi devant la Grande Chambre). Le 29 avril 2013, le collège de la Grande Chambre a accueilli cette demande.Les associations Amnesty International et Transgender Europe ont été autorisées à intervenir en tant que tierces parties dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention).L’arrêt a été rendu par une Grande Chambre de 17 juges.Les parties n'ont pas contesté devant la CEDH que le refus d’accorder à la requérante un nouveau numéro d’identité féminin s’analyse en une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée protégé par l’article 8 de la Convention. La chambre avait examiné l’affaire sous cet angle. La Grande Chambre, pour sa part, estime que la question à trancher est celle de savoir si le respect de la vie privée et familiale de la requérante implique pour l’État l’obligation positive de mettre en place une procédure effective et accessible, propre à permettre à la requérante de faire reconnaître juridiquement son nouveau sexe tout en conservant ses liens maritaux.La Cour réitère que la Convention n’impose pas aux États contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels. La Convention n’exige pas davantage que des dispositions spéciales soient prises dans des situations telles que celle de la requérante. La Grande Chambre note aussi qu’il n’y a pas eu de changement important en Europe depuis que la Cour a rendu ses derniers arrêts sur ces questions. De fait, la majorité des Etats membres ne disposent d’aucune législation sur le genre.La CEDH observe d’ailleurs que seules l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse ont ménagé des exceptions permettant à une personne mariée d’obtenir la reconnaissance juridique de son changement de sexe tout en conservant ses liens maritaux.En l’absence d’un consensus européen, et compte tenu des questions morales et éthiques délicates qui sont en jeu, la Cour estime que la Finlande dispose d’une large marge d’appréciation, tant en ce qui concerne la décision de légiférer ou non sur la reconnaissance juridique des changements de sexe résultant d’opérations de conversions sexuelles que les règles édictées pour ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en conflit.Le droit finlandais offre actuellement à la requérante plusieurs options. Sans parler de celles consistant à conserver le statu quo ou à divorcer, le grief en question vise essentiellement la possibilité de transformer son mariage en un partenariat enregistré, si son épouse y consent.D’après le Gouvernement, la législation litigieuse a pour but d’unifier les diverses pratiques ayant cours dans le pays et d’établir des critères cohérents en matière de reconnaissance juridique du genre. Dès lors que le consentement du conjoint est obtenu, le système permet de concilier la reconnaissance juridique du changement de sexe et la protection juridique de la relation.La Cour considère que le consentement du conjoint constitue une exigence élémentaire conçue pour protéger un conjoint des effets de décisions unilatérales prises par l’autre. En outre, les différences entre mariage et partenariat enregistré ne sont pas de nature à entraîner un changement substantiel dans la situation juridique de la requérante, sauf en ce qui concerne l’établissement de la paternité, l’adoption en dehors du cercle familial et le nom de famille; or pareilles exceptions ne se présentent que dans la mesure où ces questions n’ont pas été réglées auparavant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Un exemple qui montre que les personnes ayant transformé un mariage en partenariat enregistré continuent de bénéficier du même niveau de protection juridique est le calcul de la durée de la relation – ce qui est important par exemple pour le calcul d’une pension de réversion –, qui est déterminée à partir de la date à laquelle le mariage a été contracté et non à partir du passage au partenariat enregistré. Partant, la Cour ne peut juger bien fondée l’allégation de la requérante selon laquelle la transformation de son mariage en un partenariat enregistré serait assimilable à un divorce « forcé ».Pour en venir aux aspects relatifs à la vie familiale, la Cour fait observer que le passage à un partenariat enregistré n’aurait aucun effet sur le lien de filiation paternelle entre la requérante et sa fille puisque la paternité a déjà été valablement établie au cours du mariage. En outre, le changement de sexe n’a aucun effet juridique sur la responsabilité relative aux obligations de soins, de garde ou d’entretien du parent vis-à-vis de l’enfant, étant donné qu’en Finlande cette responsabilité se fonde sur la parentalité, quel que soit le sexe des parents ou la forme de leur relation. Par conséquent, la transformation du mariage de la requérante en un partenariat enregistré n’aurait aucune incidence sur sa vie familiale.S’il est regrettable que la requérante se retrouve quotidiennement dans des situations où son numéro d’identité inapproprié lui vaut des désagréments, elle dispose d’une possibilité réelle de modifier cet état de choses : son mariage peut à tout moment, sous réserve du consentement de son épouse, être transformé en un partenariat enregistré. La Cour considère qu’il n’est pas disproportionné de poser comme condition préalable à la reconnaissance juridique d’un changement de sexe que le mariage soit transformé en partenariat enregistré, celui-ci représentant une option sérieuse offrant aux couples de même sexe une protection juridique pratiquement identique à celle du mariage. On ne peut donc pas dire que, du fait des différences mineures qui existent entre ces deux formes juridiques, le système en vigueur ne permet pas à l’État finlandais de remplir les obligations positives qui lui incombent. En conclusion, la Cour estime que les effets sur la requérante du système finlandais actuel dans son ensemble ne sont pas disproportionnés et qu’un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents en jeu. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, on peut présumer qu'en France un transsexuel ne se verrait pas obligé de transformer son lien marital en un PACS...Mais en l'absence de jurisprudence en la matière, aucune certitude n'est permise...+Elisa Viganotti Avocat de la famille internationale
Pour les plus curieux: Arrêt HAMALAINEN c. FINLANDE