Mercredi 23 juillet 2014 à 20h00 : Séance hallucinée "Seconds – l’opération diabolique" de John Frankenheimer avec Rock Hudson, Salome Jens et John Randolph.
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Seconds De John Frankenheimer Avec Rock Hudson, Salome Jens, Will Geer États-Unis, 1966, 1h46′ Date de reprise, 23 juillet 2014 (copie restaurée)
Synopsis
Un homme d’âge mur, déçu par son existence monotone, reçoit un jour un coup de téléphone d’un ami qu’il croyait décédé. Celui-ci lui propose de refaire sa vie en simulant sa mort. Il finit par signer un contrat qui lui permet de changer de visage et de repartir de zéro. Mais tout a un prix et cette nouvelle existence n’ira pas sans poser quelques problèmes.
"Thriller hybride et avant-gardiste, Seconds s’inscrit dans la lignée des grands films paranoïaques dont John Frankenheimer, réalisateur d’Un crime dans la tête, s’est fait le spécialiste. Sublimé par sa mise en scène expérimentale et par l’implication totale de son acteur principal Rock Hudson, Seconds devance de plusieurs dizaines d’années certaines œuvres signées Darren Aronofsky (Requiem For a Dream) ou David Fincher (The Game)." ZoneBis
Seconds vu par par Jean Baptiste THORET
Adapté d’un roman de science fiction écrit par David Ely, Seconds marque tout d’abord la réunion d’un trio artistique exceptionnel : le chef opérateur James Wong Howe (Body and Soul 1947 de Robert Rossen et Le Grand chantage 1957 de Mackendrick), grand amateur d’expérimentations visuelles et dont l’apport sur la photographie noir et blanc du film est considérable, le compositeur Jerry Goldsmith, auteur d’une partition glaçante,sorte de requiem sous acides qui désigne déjà l’issue fatale de cette seconde chance promise par le titre, et puis le graphiste Saul Bass, concepteur, entre autres merveilles, des génériques de Sueurs froides, Psychose, L’Homme au bras d’or et Autopsie d’un meurtre. Passé le générique de Bass, tout en distorsions et en anamorphoses d’un visage dont la caméra, en gros-plan, semble traquer le secret, l’ouverture du film, tournée dans la gare centrale de New York, installe un malaise, une forme d’étrangeté éprouvante, qui donne le ton du style Frankenheimer, un style abrupt, audacieux, immédiatement tranchant. « Ses images crient, sautent aux yeux, stupéfient, les êtres et les choses prennent un relief inquiétant, ont écrit Tavernier et Coursodon dans leur Cinquante ans de cinéma américain. Il a le génie des introductions explosives qui accrochent le spectateur et le laissent sous l’emprise de la vision que l’auteur veut lui imposer.
(…) "Vos oeuvres traitent de sujets réalistes mais selon une approche poétique" explique à Wilson le directeur des ressources humaines de la Compagnie, interprété par Khigh Dhiegh, le grand manitou coréen du lavage de cerveau dans Un crime dans la tête. Un énoncé qui pourrait tenir lieu d’exacte définition au cinéma de Frankenheimer. Dans Seconds, de façon plus systématique que dans ses autres films, Frankenheimer n’hésite pas à mélanger les genres, au risque de perturber sans relâche les attentes du spectateur. Dès le premier plan du film et cette caméra étrangement fixée à l’épaule d’un inconnu, le monde semble avoir perdu ses repères et se tient, vacillant et opaque, au bord d’un gouffre noir prêt à absorber tout ce pessimisme qui caractérise tant les films de Frankenheimer. Ici, on saute d’un soap opéra cauchemardesque à une fable d’anticipation et même prométhéenne (la création d’un homme nouveau à partir des débris psychiques de l’ancien), on bascule sans prévenir d’un rêve caligarien à un pastiche réjouissant de ce psychédélisme sans conséquence qui fera bientôt les beaux jours de la côte Ouest (la fête du vin, tournée à Santa Barbara). Cette sorte d’expressionnisme réaliste, déjà à l’oeuvre dans Un crime dans la tête et que Seconds amplifie et sublime, autorise toutes les inventions formelles. L’art déroutant de Frankenheimer consiste à opérer un décalage constant entre les évènnements objectivement montrés et la manière dont ils sont filmés. Ainsi, une banale scène conjugale devient, par la magie de la mise en scène, une séquence anxiogène, tandis que la discussion proprement délirante entre Randolph et Will Geer (le vieil homme de la Compagnie) sur les modalités techniques de la transformation, prend les atours d’une réunion informelle et prosaïque, centrée autour de la dégustation d’une cuisse de poulet. Dans Seconds, les choses ne sont pas forcément ce qu’elles semblent être, ça complote, partout, comme en témoignent par exemple ces petites communautés humaines faussement amènes qui font écho à celles qu’on retrouve chez Polanski au même moment. Écrasant, carcéral, l’espace de Seconds répercute enfin la psyché des personnages, victimes d’un open country qui encage les siens dans la prison d’un matérialisme creux. Comme les soldats coréens d’Un crime dans la tête, la Compagnie de Seconds procède elle aussi, à une sorte de lavage de cerveau, mais à petits feux, sous l’apparence rassurante du confort domestique et de la jeunesse éternelle. La programmation, la peur du formatage, constitue l’une des hantises qui structurent le cinéma de Frankenheimer. Arthur Hamilton appartient bien à la grande famille de ces personnages pris dans la volonté d’un autre, ou d’un système, mais à la différence de Laurence Harvey dans Un Crime dans la tête ou de Bruce Dern dans Black Sunday (1977), ce quinquagénaire tristounet croit à la possibilité de sa propre déprogrammation et, telle une proie consentante, se jette à corps perdu dans le mirage consumériste de la seconde chance.
(…) Frankenheimer possède, comme tous les grands cinéastes, une capacité à saisir l’humeur du temps, à en délirer les impasses, les tares, puis à les grossir à la loupe jusqu’à risquer le malaise du spectateur.Certaines séquences de Seconds – la filature à Grand Central, la seconde opération chirurgicale qui clôt le film – atteignent des sommets d’invention et d’inconfort, et témoignent surtout de la façon dont Frankenheimer, en ce moment hésitant du cinéma hollywoodien, a su trouver une manière très personnelle d’inventer de nouvelles formes qui,plutôt que de lorgner maladroitement vers l’Europe et ses nouvelles vagues (voir Mickey One de Penn par exemple, autre fable paranoïaque de 1964), a puisé au sein même de la mythologie nationale le matériau de sa renaissance esthétique. Situé quelque part entre l’Antonioni de L’Éclipse (1962), les gestes violemment auteuristes d’Orson Welles et Twilight Zone, la série phare de l’époque et vaste réservoir des maux de l’Amérique post-MacCarthyste, Seconds offre le plus beau des points de vue sur celui qui fut, dans les années 1960 et 1970, le grand cinéaste américain de l’aliénation moderne.
Fiche technique
- Production : Un film Paramount / Edward Lewis – Joel Productions & Gibraltar Productions
- Scénario : Lewis John Carlino d’après le roman de David Ely
- Image : James Wong Howe – Décors : Ted Haworth et John Austin
- Son : Joe Edmondson et John H.Wilkinson – Montage : Ferris Webster et David Newhouse
- Générique : Saul Bass – Musique : Jerry Goldsmith
Distribution
- Antiochus (Tony) Wilson : Rock Hudson
- Arthur Hamilton : John Randolph
- Nora Marcus : Salome Jens
- Le vieil homme : Will Geer
- Mr Ruby : Jeff Corey
- Docteur Innes : Richard Anderson
- Charlie Evans : Murray Hamilton
- Docteur Morris : Karl Svenson
- Davalo : Knigh Dhiegh
- Emily Hamilton : Frances Reid
John Frankenheimer
De tous les cinéastes américains apparus entre la fin des années 1950 et le début des sixties – Arthur Penn, Sidney Lumet ou encore Robert Altman pour ne citer que les plus illustres – John Frankenheimer est sans doute, avec John Cassavetes, celui qui aura trouvé le plus vite et le plus tôt les clés d’un style incroyablement personnel. Seconds, son huitième film et troisième volet d’une trilogie de la paranoïa inaugurée en 1962 avec Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate), en constitue le précipité étourdissant et radical.
Formé à la télévision, John Frankenheimer fait ses débuts derrière la caméra en 1957 et enchaîne une série impressionnante ponctuée de joyaux : L’Ange de la violence (All Fall Down 1962) avec un Warren Beatty post-James Dean et pré-Bonnie and Clyde, Le Prisonnier d’Alcatraz (Birdman of Alcatraz 1962) dans lequel Burt Lancaster, tout en underplaying,incarne un taulard qui conjure sa condition par une passion pour les oiseaux, Un crime dans la tête bien sûr et Sept jours en mai (Seven Day in May) 1964), parabole politique qui imagine, en pleine guerre froide, la prise de la Maison Blanche par un général Faucon, conservateur patenté et leader populiste dangereux.
Réalisé en 1966, Seconds porte à son point d’incandescence (et sans doute de rupture si l’on en juge à l’accueil glacial réservé au film lors de sa sortie en salles), l’univers si reconnaissable du cinéma de John Frankenheimer, en tous cas celui de la première période, qui s’achève en 1969, avec la chronique intimiste Quand les parachutistes arrivent (The Gipsy Moths).