Un film de Jean Renoir (1937 - France) avec Jean Gabin, Pierre Fresnay, Eric Von Stroheim, Marcel Dalio
Luttes de nations, luttes de classes.
L'histoire : Guerre de 14/18. Le capitaine de Boldieu et son lieutenant, Maréchal, sont fait prisonniers et envoyés dans une prison allemande, où ils sont fort bien traités. On passe le temps à discuter, à jouer aux cartes, à monter des pièces de théâtre et à dévorer les colis envoyés par les familles. Les hauts gradés ennemis se parlent avec le respect dû à leur fonction, de l'honneur, du devoir. Les petits, eux, creusent un trou pour s'échapper et rentrer à la maison. Juste au moment où ils allaient pouvoir partir, on les déménage vers une autre forteresse. Pas de chance... ou lucidité germanique ? Tout recommence, mais la tension monte. Maréchal veut revoir Paris et reprendre sa place dans l'armée pour bouter l'Allemand hors de France. Les généraux poursuivent leur discussion, pleine d'amertume, sur l'enfer du devoir...
Mon avis : Un grand classique qu'il me fallait voir absolument. Voilà qui est fait et je ne suis pas déçue. Malgré son âge, il n'a pas vieilli, grâce à une réalisation magnifique : cadrages sublimes et caméra fluide, acteurs au top, sans cette diction théâtrale habituellement de mise dans les vieux films. Des dialogues très fins, très pointus, parfois drôles.
Et un thème, la guerre, traité de façon tout à fait originale. Pas de combats, pas de plans, pas de stratégies... juste des hommes de bonne compagnie ! L'absurdité de la guerre est encore une fois mise en avant et on ne peut que s'en féliciter, même si cent ans après celle dont on nous parle ici, les conflits font toujours rage de tous bords. Le cinéma, dont le rôle est aussi d'apprendre à connaître, d'élargir les horizons, ferait bien de se repencher sur les films d'autrefois qui disaient des choses, beaucoup de choses... bien plus que les blockbusters d'aujourd'hui, qui laissent une place de plus en plus étroite aux films d'auteur. Trois fois hélas.
Ici donc, disais-je, pas de lutte frontale. On occupe le temps, on bavarde, on discute, entre gens civilisés. La guerre semble n'être qu'un jeu, qui se passe au loin. Serait-elle un mirage, une illusion ? On se le demande à voir tous ces gens rassemblés et vivre paisiblement ! Le général allemand fait mille courbettes, sincères, à son homologue français, qui lui rend la pareille (les plus belles scènes du film) ; les prisonniers sont bien traités. On dirait que tout ce petit monde n'attend qu'une chose : que quelqu'un dise que la partie est terminée, que chacun puisse rentrer tranquillement chez soi et qu'on n'en parle plus. Mais il y a l'honneur, la patrie. A cette époque, ce n'était pas de vains mots. Ca vous titille, le sens du devoir. Alors pour l'honneur, on tente de s'échapper, ou bien on provoque les balles ennemies pour mourir en héros. Sous la courtoisie se cache un peu de vanité. Egale des deux côtés de la frontière.
Au grand jour, c'est la lutte des classes qui prédomine. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. L'officier français, d'origine noble ou bourgeoise, est très condescendant avec ses subalternes, des gars de la France profonde, pas très cultivés, ni très raffinés ; pire, il y a ce juif, qu'on fait semblant d'apprécier - la France n'est pas raciste - mais dont on regrette bien que la famille ait racheté tous ces châteaux "français". Et l'on préfère discuter entre soi, commandants français et commandants allemands, soldats français et soldats britanniques ou russes. La frontière est sociale, pas nationale...
Pour finir, le gentil plouc français s'éprend de la petite fermière allemande... tandis que le juif préfère partir vaquer à ses occupations. Le Français de souche, grand séducteur ; le juif, business man. Les clichés sont éternels.
Au final, énormément de symbolique dans ce film pacifiste, et visionnaire. Réalisé en 1936... on y parle, sous l'apparence de bavardages anodins, d'une Europe en paix pour toujours, pour nos braves gars de la campagne ou des faubourgs, naïfs et rêveurs ; ou bien d'une future guerre et d'une lutte lutte sans merci entre tenants d'un certain ordre, d'une certaine morale, raciste, sectaire, pour ceux qui détiennent le pouvoir. Dans le film, ils semblent craindre que les masses populaires ne prennent leur revanche (c'est l'époque de la révolution bolchévique en Russie...). Même pas mal ! Le pouvoir, ils l'ont gardé, et ce n'est pas une question de nation, tandis que partout dans le monde les petits sont plus que jamais à leur merci.
Toute la société d'aujourd'hui est là, en embryon, dans ce film. Une sorte de cri d'alarme, qui ne fut pas entendu... Extraordinaire.
La grande illusion, le titre du film, c'est de croire que chaque guerre est la dernière ; que la lutte des classes a disparu ; qu'une guerre puisse apporter des solutions à des problèmes, quels qu'ils soient.
Et j'ai eu un gros coup de coeur pour Jean Gabin, que je n'avais vu pour l'instant que dans ses films les plus récents, donc vieux ! A trente ans... il était vachement sexy !
Un très très beau film à regarder (et re-regarder) avec grande attention. Chaque image, chaque phrase, tout est plein de sens.
Cet article a été programmé car je suis absente jusqu'au 28 juillet. Je répondrai à vos commentaire dès mon retour.