Un avion de ligne malaisien abattu au-dessus de l'Ukraine
Tourmag : Quels commentaires pouvez-vous apporter au sujet de l’avion de Malaysia Airlines, qui s’est écrasé, le 7 juillet, dans l’est de l’Ukraine ?
Jean Belotti : Cet avion, un Boeing 777 - qui assurait la liaison entre Amsterdam Malaysia Airlines et Kuala Lumpur, avec à son bord 298 personnes - s’est effectivement écrasé, à une vingtaine de kilomètres de la frontière russe, exactement entre la ville de Chakhtarsk et le village de Grabove. Si l’on admet que l’avion a été détruit par un missile, comme cela a été confirmé par diverses autorités, la première question à se poser est de savoir de quel missile il s’agit “sol-air” ou “air-air” et qu’elle est son origine ?
Tourmag : Avez-vous une réponse ?
J.B.: L'avion malaysien aurait été abattu par un avion ukrainien, lui-même abattu ensuite par les forces pro-russes ! Rien ne permet - tant que l’analyse des débris ne sera pas terminée - d’écarter l’hypothèse d'un acte terroriste à l'intérieur de l'avion ou, par exemple, celle de l’explosion d’une bombe à bord. Or, aucune certitude n’existant à ce jour, les médias se sont empressés d’avancer toute une série d’hypothèses désignant les responsables (Russes, Ukrainiens ou séparatistes Ukrainiens armés par les Russes) et de présenter différentes versions des événements, avec les accusations portées par les uns contre les autres. Heureusement, d’éminents experts connus ont fait d’intéressants commentaires, à la Télévision, comme celui de se demander pour quelle raison les trois belligérants concernés auraient pu se livrer à un tel acte de barbarie ?
TourMag : Peut-on privilégier une des hypothèses émises ?
J.B.: Les nombreuses informations disparates, parcellaires, contradictoires, affirmations suivies de démentis, qui circulent ne permettent pas de donner un avis fondé. En revanche, il convient, dans le cas où la cible aurait été volontairement choisie, de se poser la question de savoir “à qui profite le crime?”. Ou, alors, y aurait-il eu erreur de cible ou simplement un missile détourné de sa cible initiale ?
TourMag : Il reste à prendre en compte que le système anti-aérien “Buk”, permettant d’atteindre des avions de ligne volant à leur altitude habituelle de croisière, est de fabrication russe ?
JB.: Cet argument n’est pas recevable en tant que preuve déterminante de la responsabilité de la Russie, étant donné qu’il est de notoriété publique que de nombreux pays disposent d’armements russes, américains, français,... De surcroît, au moment de votre interview, on ne sait pas si les séparatistes disposaient ou non de ce système ?
TourMag : Il a été dit que l'avion de Poutine qui rentrait du Brésil devait faire à peu près cette même route que le vol MH-17 et qu’il avait changé le cap, moins d'une heure avant l'accident de l'avion malaysien. N’y a-t-il pas un lien avec ce drame ?
J.B.: Il a été précisé qu’il existait un risque de confusion, car bien qu'étant un autre type d'appareil, l'avion présidentiel russe lIliouchine Il-96-300 portait quasiment les mêmes couleurs que le Boeing 777 de Malaysia Airlines. Cette relation causale n’est pas fondée, car les avions ne sont pas différenciés par leur couleur, mais par les messages qu’ils émettent en vue d’être parfaitement identifiés par les stations radars.
TourMag : Y a-t-il déjà eu des avions de ligne abattus en vol ?
J.B.: Le premier que j’ai en mémoire remonte à plus de six décennies. Il s’agit de celui d’un Constellation d’Air France qui, survolant le continent africain, avait été pris pour cible par un avion de chasse. Puis, celui d’un avion d’Air France, piloté par un de mes collègues, qui, après avoir décollé de Bengazi, avait été descendu par un missile israélien.
Tout le monde se souvient de l’avion de Korean AL abattu par un chasseur soviétique, le 1er septembre 1983, en pleine guerre froide, alors que sa trajectoire s’étant décalée de quelques miles, l’avait fait entrer dans l’espace aérien de l’URSS. Je connaissais très bien cette route longeant pendant longtemps la frontière russe et qui pouvait être franchie au moindre petit écart de navigation.
J’ai lu également que les Ukrainiens avaient abattu un avion civil israélien au-dessus de la mer noire par un missile ukrainien en 2001 et tout récemment un “Antonov 26”, avion de ligne ; que les Ukrainiens ayant perdu un Iliouchine 76, avion de transport militaire, qui aurait été abattu également par un missile ; qu’un chasseur russe a abattu, la veille, un avion de combat ukrainien Sukhoï SU-25 en mission au-dessus de l'est de l'Ukraine, le pilote ayant réussi à s'éjecter,...
TourMag : Et des avions abattus par erreur ?
J.B.: Plusieurs cas sont connus ou présumés. Je n’en citerai qu’un seul. Le 3 juillet 1988, l'USS Vincennes, en patrouille de routine, ayant pris le vol 655 Iran Air pour un avion de chasse effectuant une manœuvre d'attaque, avait lancé deux missiles et l’avait abattu, faisant 288 victimes. Cet avion de ligne régulier avait donc été détruit par un destroyer américain, alors qu’il suivait une route aérienne classique, à haute altitude.
TourMag : L’équipage n’a pas lancé d’alarme radio ?
J.B.: Lorsqu’un grave dysfonctionnement survient en vol, l’équipage, en toute première priorité, en recherche la cause pour, le plus rapidement possible, trouver la solution salvatrice la plus efficace. Ce n’est que lorsque la situation est redevenue normale qu’il peut prendre le temps d’envoyer un message radio.
Dans le cas d’un grave incident mettant l’avion en descente avec obligation de se poser dans les minutes qui suivent, l’équipage peut lancer le message de détresse (“Mayday”)
Mais, en cas d’explosion due à l’impact d’un missile, ce n’est évidemment pas possible, car toute vie est instantanément supprimée.
TourMag : Pourquoi laisse-t-on les avions civils survoler des régions en guerre ?
J.B.: La communauté aéronautique a estimé qu'un avion de ligne, qui suit tous les jours la même route aérienne, sensiblement à la même heure et qui, de surcroît, est facilement identifiable par les stations radar qui reçoivent, en continu, les signaux émis par le “transpondeur”, ne pouvait être confondu avec un avion de guerre. De plus, elle a considéré que volant à une altitude de croisière le mettant hors de portée des missiles lancés par des belligérants de conflits locaux, il n’y avait donc aucun risque.
TourMag : Est-il vrai que les avions de Malaysia AL ont évité de faire un détour pour économiser du temps et du carburant ?
J.B.: Voilà une accusation non fondée contre cette compagnie, dont l’image de marque sera probablement fortement ternie à la suite de ces deux exceptionnels drames qui l’on frappé en si peu de temps. En effet, il n’a jamais été question, pour aucune compagnie, d’éviter les zones de combats décrites. D’ailleurs, ce n'est qu'après ce drame que les compagnies aériennes ont décidé de ne plus survoler l'Ukraine.
TourMag : Les équipages sont-ils au moins prévenus de la situation ?
J.B.: Bien sûr ! Lorsqu’il y a des zones à éviter, les équipages en sont avisés par des bulletins - appelés “notams” (notice to airmen) - qui leurs sont présentés au moment de la préparation de chaque vol. Lorsque des pays sont en guerre, les vols sont généralement supprimés, mais pas systématiquement. Exemple : Le survol de l'Afghanistan, pour la simple et bonne raison qu’il est impossible pour une force rebelle d'identifier et d'abattre des avions à l’altitude de vol des avions de ligne.
Cela étant, quelques vols peuvent être autorisés et ne sont alors effectués que par des équipages volontaires, après avoir obtenu des garanties des belligérants.
C’est ce qui s’était probablement passé lorsque, à Saïgon, en Boeing 707, où j’ai fait un des derniers atterrissages, alors que les “viets” bombardaient le terrain de Tan Son Nhut, quelques jours avant la prise de la ville. On voyait les tirs de mortiers tout autour de l’aéroport. Des dizaines d’hélicoptères mitraillaient les troupes ennemies. Des chasseurs à réactions effectuaient des évolutions serrées pour larguer leurs bombes sur les cibles choisies. Et, effectivement, notre approche nous faisait entrer dans cette zone d’intense activité de combats. Cela étant, on nous avait dit que les “viets” ne tiraient pas sur les avions d’Air France, alors qu’ils le faisaient sur les avions civils américains. Etait-ce une information fondée ou non ? Toujours est-il que nous avons continué notre approche entre les tirs qui fusaient de toute part. Puis, nous sommes repartis, toujours dans la même agitation en périphérie, sans aucun problème.
TourMag : Les passagers sont-ils conscients de la gravité de la situation et ont-ils souffert ?
J.B.: Cette question est effectivement souvent posée par les familles des victimes lors des réunions d’informations organisées par la justice. En décrivant ce qui a pu se passer pendant les quelques minutes de chute, depuis une altitude habituelle de vol en croisière des avions de ligne, les experts tentent de passer un message rassurant. En revanche, un avion touché par un missile, alors qu’il est en croisière, provoque une explosion mortelle pour toutes les personnes à bord, d’autant plus qu’à ces altitudes, l’air est irrespirable. On se souvient qu’en cas de dépressurisation rapide, les masques à oxygène apparaissent automatiquement devant le siège de chaque passager.
TourMag : Y avait-il des chances de retrouver des survivants ?
J.B.: L’expérience démontre que lorsqu’un avion s’écrase, étant sorti de son domaine de vol, alors qu’il volait en croisière, il n’y a aucun survivant, a fortiori s’il a été touché par un missile, comme je viens de vous l’expliquer ! Il n’y avait donc aucune chance de retrouver des survivants, ce qui est d’ailleurs confirmé par les premiers constats de l’état des décombres et de corps calcinés éparpillés sur le lieu du crash.
TourMag : Connaîtrons-nous, un jour, la vérité ?
J.B.: Probablement, car tous les éléments de preuve sont ou seront disponibles. À ce jour, on sait que les dirigeants occidentaux ont demandé la constitution d’une enquête internationale pour élucider les circonstances de ce crash.
Le Royaume-Uni a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU.
Les navires de l'Otan, présents en mer noire, ont forcément pu contrôler le ciel ukrainien et leurs conclusions seront probablement essentielles quant à la manifestation de la vérité.
Les Américains y ont braqué leurs satellites d’observation ; l’Otan dispose d’Awacs ; la France a dépêché un bâtiment de commandement et de projection (BPC) en mer noire, bourré d’électronique. Il ne reste plus qu’à espérer que tous les moyens mis en œuvre par une coopération internationale, permettront de savoir d’où est parti le tir de missile.
TourMag : Une conclusion ?
J.B.: À ce jour, l’analyse factuelle de ce drame ne peut se faire en ne s’appuyant que sur des hypothèses, d’où le peu de crédit à accorder aux conclusions hâtives, affirmations, critiques, voire accusations, dont les médias internationaux nous abreuvent. Il reste que tout un chacun, en fonction des sensibilités politiques, peut prendre parti pour l’un ou l’autre des antagonistes. Cette deuxième tragédie, après la disparition d'un autre Boeing de Malaysia AL nous invite, en attendant d’en savoir davantage, à penser aux personnels traumatisés de ladite compagnie et, également, à assurer les familles en deuil de toute notre compassion.
La Lettre et la Chronique de juillet 2014 se trouvent ici :
http://henri.eisenbeis.free.fr/belotti/2014/2014-07-juillet-Lettre-et-Chronique.html