Duel d’ombres, de Alain Foix, avec Philippe Dormoy (d’Eon) et Vincent Byrd Le Sage (Saint-Georges),

Publié le 19 juillet 2014 par Halleyjc

L'affiche de Duel d'ombres, d'Alain Foix. Pascal Colrat  

Duel d’ombres, texte et mise en scène Alain Foix, avec Philippe Dormoy (d’Eon) et Vincent Byrd Le Sage (Saint-Georges), romances chantées par Angélique Ballue accompagnée au clavecin par Adrienne Martin. Du 5 au 26 juillet à 12h30 au Théâtre de l’Albatros. Festival Off d’Avignon. Tél. 04 90 86 11 33.

«Duel d’ombres» à Avignon : quelque chose au-delà des images par Siegfried Forster

« Dans l’autre, il y a toujours un peu de soi ». C’est par un dialogue imaginaire et musical que l’auteur et metteur en scène guadeloupéen Alain Foix instaure un remarquable Duel d’ombres.

Une lutte théâtrale aussi physique et historique que littéraire entre le célèbre Chevalier Saint-Georges et le Chevalier d’Eon : entre le Noir et le Blanc, les genres et les identités. Jusqu’au 26 juillet au Théâtre de l’Albatros au Festival Off d’Avignon. Entretien.

Dans votre Duel d’ombres, le noble noir croise le mot et le fer avec une fille garçon blanche. Est-ce une pièce sur le Noir et le Blanc ?
Pas seulement. C’est une pièce sur l’image de soi. L’image qu’on donne de soi, l’image qu’on cache de soi. La différence peut être « raciale » ou sexuelle comme chez le Chevalier d’Eon. C’est aussi une question sur la tolérance. Ces deux personnages historiques ont eu quelques soucis, bien qu’ils aient été nobles et extrêmement bien vus à leur époque. Malgré tout, ils avaient une apparence qui pouvait cacher autre chose.

En plus du clavecin et les chants baroques, vous avez cherché des mots de l’époque et en alexandrins pour écrire une histoire du 18e siècle ?
Oui, d’une certaine façon, mais, il y a quelques éléments qui nous ramènent à notre temps. J’ai écrit cela comme s’il s’agissait de personnages d’aujourd’hui. Ce temps baroque du 18e siècle ressemble étrangement à notre temps baroque contemporain. Entre ce 18e siècle et notre 21e siècle, il y a des choses qui restent très communes comme justement cette problématique qu’on retrouve chez ces deux grands personnages, le Chevalier Saint-Georges et le Chevalier d’Eon.

La pièce parle des relations entre hommes et femmes, entre fils d’esclave et chevalier travesti, entre Noirs et Blancs, mais aussi des masques imposés par la société. Peut-on dire que depuis le 18e siècle, fondamentalement, il n’y a rien qui a changé ?
Peu de choses ont changé. On pourrait presque dire que ce 18e siècle était plus tolérant et en avance que notre siècle à nous. C’est cela qui est très étonnant. Et c’est cela que j’ai voulu mettre en lumière : la pensée des Lumières qui est de plus en plus oubliée aujourd’hui. J’essaie encore – sans faire de jeux de mots – de la remettre en lumière et de montrer à la fois la dimension très humaniste et la complexité de tout cela.

Étonnamment, le Chevalier Saint-Georges et le Chevalier d’Eon partagent des secrets et des blessures, mais, au début, ils ne sont pas plus tolérants l'un vis-à-vis de l’autre...
Non, ils ne sont pas tolérants, mais peu à peu ils blessent l’autre à un point qu’ils se blessent eux-mêmes. Ce qu’ils font de mal à l’autre, sans le savoir, revient sur eux, parce que, au fond, c’est comme un écho de ce que eux, ils sont aussi. Comme cette histoire de la mère de Saint-Georges qui renvoie à la condition d’Eon comme mère. L’idée est : dans l’autre, il y a toujours un peu de soi.

Vous avez mis l’accent aussi sur des scènes sans parole. Dans la pièce, est-ce le corps qui exprime les blessures et les changements ?
Au-delà du texte qui est très écrit, il y a tout le corps qui joue. Derrière les masques et les paroles, il y a des sentiments, les corps, les blessures et la vie. Nous ne sommes pas simplement les gens que nous représentons socialement. Nous sommes aussi des organismes extrêmement sensibles. Chacun essaie à sa manière de se livrer au jeu social et de trouver dans ce jeu social notre place.

Le récit évoque l’affiche du duel entre les deux chevaliers : entre le beau Noir et la femme escrimeuse. Finalement, tout l’enjeu ne consiste-t-il pas à décrypter et à démonter cette affiche-là ?

L'affiche de Duel d'ombres, d'Alain Foix. Pascal Colrat

Voilà. C’est une dénonciation de ce règne de l’image qui essaie d’imposer des identités un peu factices aux gens et aux personnages. Voyez comment Saint-George a du mal à faire comprendre au début à d’Eon le piège de l’image dans lequel ils vont être plongés. D’Eon est toujours dans une espèce de jeu de représentation. En réalité, c’est une femme et un homme. Quand il comprend qu’il se fait prendre au piège de sa propre image, cela lui pose un vrai problème [rire]. Alors que Saint George connaît un peu mieux cette histoire, parce qu’il n’est pas propriétaire de son image. Il ne la joue pas, elle lui est imposée. C’est cela la grande différence.

« Une belle comédie peut sauver une vie ». Cette phrase est issue de votre spectacle. Vous y croyez dans la vie ?
C’est toute la question du théâtre : il faut une dramaturgie, une histoire qui raconte quelque chose au-delà des images. Cette comédie, pour sauver la vie, elle va aller un peu plus profondément que les images imposées. Ceux qui ont organisé le duel ont vendu une image : le chevalier noir contre le chevalier en dentelles. Ce que veut Saint-George, c’est bien plus que cela : sauver les personnages à travers une vraie histoire.