Mais d'abord, un petite préambule est nécessaire ! Vue de notre pays, l'Italie est le plus souvent incompréhensible, et c'est d'ailleurs pour ça que j'ai écrit plus d'une centaine de billets dès 2009, pour, je cite :
... il me semble plus intéressant, plus juste, aussi, de raconter l'Italie à un lectorat francophone, et surtout, plus que de raconter, de témoigner. Témoigner de ce qui se passe au quotidien dans ce pays, tout au moins tel que je le perçois, car nous vivons une époque cruciale, veille de grands bouleversements. Où tout peut basculer, vite ; dans un sens, ou dans l'autre.Et puis après 134 billets tagués "Italie", j'ai arrêté, par lassitude. Parce que je vois que rien ne change dans ce pays, sinon en pire. Où le pays est systématiquement mis à sac par la "classe politique" et "dirigeante", droite-gauche confondues, et le tournant de 1992 qui aurait pu déboucher sur une Italie plus juste et plus honnête n'a fait que renforcer les corrompus de toutes sortes, si bien que 20 ans plus tard il est devenu pratiquement impossible de les condamner...
Or puisque je ne me sens pas trop l'âme d'un spectateur, je préfère tenter d'être acteur de ce changement, à mon niveau. C'est-à-dire en faisant ce que je sais faire : écrire.
(...) Et avec des mots vrais, surtout, qui savent faire le tri entre, d'une part, une propagande officielle visant à l'obscurantisme et l'abêtissement du peuple, et, de l'autre, la réalité des choses.
Masquée le plus souvent, dissimulée par les pouvoirs en place - politiques, médiatiques, économiques, occultes, mafieux, etc. -, qui ont dressé depuis des décennies un gigantesque barrage pour contenir toute la merde qui nous submerge aujourd'hui.
Beaucoup ont déjà tenté - et tentent encore - de faire brèche dans ce barrage, apparemment sans grands résultats au niveau national, puisque nous sommes dans une phase où les pouvoirs ci-dessus sont plus puissants que jamais, tellement puissants qu'ils ne se cachent même plus et ont décidé de concert d'enterrer le peu qui reste de démocratie au profit exclusif de leurs magouilles, de leurs affaires louches, où le citoyen lambda ne compte absolument plus rien.
Et où ses libertés fondamentales se réduisent comme peau de chagrin jour après jour. C'est cette érosion quotidienne et constante de la liberté et des "droits démocratiques" en Italie que j'entends désormais raconter sur ce blog. Tant que je peux le faire...
D'un côté les cellules italiennes regorgent d'immigrés ou de voleurs à la tire, mais tous les cols blancs qui volent l'argent public par millions n'ont rien à craindre : les lois sont faites expressément pour eux et pour éviter qu'ils ne finissent là où ils auraient pourtant naturellement leur place : en prison !
Silvio Berlusconi est le parangon parfait de cette réalité : la plupart du temps où il a été acquitté dans ses nombreux procès, c'est simplement parce qu'en cours de procès il a changé les lois en vertu desquelles il aurait pu être condamné.
Et c'est encore ce qui se passe aujourd'hui, à la différence que cette fois-ci ce n'est pas lui qui est directement à l'origine de la loi anti-corruption qui le sauve (et pas seulement lui, la gauche en a profité en égale mesure...), mais le gouvernement Monti et plus particulièrement la ministre de la justice de l'époque, Paola Severino.
Le début de l'histoire, je l'avais raconté en détail dans Bunga-Bunga :
La partie "publique" de l'histoire commence à Milan, le 27 mai dernier, lorsqu'une mineure d'origine marocaine, connue comme Ruby, 17 ans et demi à l'époque, est arrêtée par une patrouille de police. Une brésilienne dont elle avait partagé l'appartement l'avait dénoncée en l'accusant de lui avoir volé des bijoux et de l'argent pour plusieurs milliers d'euros. Accompagnée au poste, sans documents, il apparaît qu'elle s'est échappée de la communauté d'accueil où le Tribunal des mineurs de Messina l'a placée ; elle devrait donc être gardée à vue en attente d'identification. C'est alors que le chef de cabinet de la préfecture de Milan, Pietro Ostuni, directement contacté par la Présidence du Conseil pour s'intéresser de l'affaire, téléphone au bureau de police pour demander la libération immédiate de la jeune fille, sans procéder à la signalétique et sans rédiger de rapport de service.Un mensonge gros comme une maison que Berlusconi a quand même réussi à faire entériner par ... le Parlement italien !!!
Avec l'excuse suivante : « C'est la nièce de Hosny Moubarak, le président égyptien ! »...
Donc au terme de la première instance, Berlusconi avait été condamné à 7 ans de prison pour deux chefs d'accusation :
- concussion par induction
- prostitution de mineure
Sur le délit de concussion, qui n'existe pratiquement qu'en Italie, Wikipedia nous explique qu'il s'agirait d'un « crime d'extorsion sans violence commis par un particulier ou un fonctionnaire, usant d'intimidation ou prétextant des pouvoirs fictifs, ou abusant de pouvoirs réels. »
Et les deux cas de figure prévus par la loi italienne étaient la concussion par "constriction" (je t'oblige à le faire) et par "induction" (je t'induis à la faire), qualification retenue contre Berlusconi qui a contacté directement le chef de cabinet de la préfecture de Milan, Pietro Ostuni, lequel a passé à son tour plus d'une dizaine de coups de fil pour faire libérer Ruby...
Rappelons que ce jour-là Berlusconi était en visite officielle à Paris, et qu'il a été prévenu directement par la prostituée brésilienne qui avait aussi bien le numéro de portable de "Papounet" que de son domicile à Rome, comme en témoigne la rubrique téléphonique déposée aux actes (où toutes les filles sont qualifiées de "pute napolitaine", "putain italienne", "collègue", "salope", etc., y compris Ruby).
Donc le coup de maître de la loi anti-corruption votée en décembre 2012, c'est d'avoir redéfini la concussion par constriction (en déterminant qu'elle n'est qualifiée que lorsque celui qui en est l'objet ne peut en aucune façon résister aux pressions), tandis que l'induction ne peut être punie que lorsque celui qui est l'objet de pressions auxquelles il pourrait éventuellement résister en tire également « un avantage indu ». Ce qui n'est bien sûr pas le cas du chef de cabinet de la préfecture de Milan...
2. Prostitution de mineure
En Italie la prostitution avec des personnes majeures n'est pas un délit. Tout le problème tournait donc autour de l'âge de Ruby, et, surtout, sur le fait de savoir si Berlusconi était conscient que Ruby n'avait pas 18 ans.
C'est là où intervient un deuxième escamotage juridique, sous l'appellation de "ignorance inévitable", autrement dit il suffit que l'inculpé montre qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour être sûr de l'âge de la prostituée, de sorte qu'au final, même s'il en ignorait l'âge véritable, ce n'était certainement pas de sa faute...
* * *
Résultat des courses, sans l'introduction de ces modifications, il est probable que le jugement de première instance aurait été confirmé. Alors qu'aujourd'hui il est acquitté avec tous les honneurs...
Ce qui n'est pas sans avoir des conséquences politiques de première grandeur, en légitimant plus encore Berlusconi comme interlocuteur privilégié de Renzi pour "réformer" la constitution italienne, le sénat, la loi électorale, etc.
Une réforme piduiste au plein sens du terme, qui confisquera définitivement le pouvoir que l'actuelle Constitution italienne de 48 reconnaît au "peuple souverain", puisqu'elle élimine totalement tous les contre-pouvoirs démocratiques que Rousseau décrivait déjà dans son contrat social, pour nous préparer une belle démocrature en perspective !
Dans ce sens le couple Renzusconi est plus dangereux que jamais, et sûrement Renzi encore plus que Berlusconi (qui se voit déjà en constituant et nouveau père de la patrie...), ce qui est quand même le comble...
Jean-Marie Le Ray