Michel Viso, responsable de la thématique exobiologie au Cnes, revient sur la notion d'habitabilité des planètes extra-solaires ou non. Interview.
Michel Viso est le responsable de la thématique exobiologie au Centre national d'études spatiales. © D.R.Propos recueillis par CHLOÉ DURAND-PARENTIIl ne se passe presque plus un mois sans que des astronomes annoncent la découverte d'une nouvelle Terre ou d'une exoplanète "habitable". Mais les mots sont parfois trompeurs. Quelle réalité se cache derrière ces annonces ? Michel Viso, responsable de la thématique exobiologie au Centre national d'études spatiales, fait la lumière sur une notion à géométrie variable. Le Point.fr : Quand on lit que des scientifiques viennent de découvrir une nouvelle planète habitable, que doit-on entendre ?Michel Viso : La notion d'habitabilité, tel qu'elle est utilisée actuellement pour qualifier certaines exoplanètes, a été donnée, non pas par des exobiologistes, mais par des astronomes qui ont une vision très physique des choses. Pour eux, une planète habitable est tout simplement une planète sur laquelle, avec une atmosphère comparable à celle de la Terre, on pourrait avoir de l'eau liquide en surface. En clair, je prends la Terre, je la mets quelque part autour d'une étoile et je vois s'il peut y avoir de l'eau liquide. Si elle est trop près de l'étoile, il fait trop chaud et l'eau est entièrement sous forme de vapeur. Si elle est trop loin, il fait trop froid et l'eau se retrouve alors uniquement sous forme de glace.Cela semble une définition très restrictive C'est surtout une définition très géocentrée. De plus, ce qu'on envisage, c'est uniquement une habitabilité de surface. Or, sur Terre, une grande partie de la vie n'est absolument pas en surface. Elle est soit au fond des océans, soit souterraine à plusieurs dizaines, centaines, voire milliers de mètres. Car il ne faut pas oublier que les plantes, les organismes complexes et tout ce que nous voyons, ne représentent qu'une infime partie du vivant. En réalité, la vie sur Terre est essentiellement à base de micro-organismes.En tant qu'exobiologiste, comment définiriez-vous donc une planète habitable ?Pour qu'une planète soit éventuellement habitée, il faut qu'elle soit rocheuse et qu'elle dispose de zones qui soient habitables, c'est-à-dire, avant tout, où il y a de l'eau et où les conditions de température et de pression permettent sa présence sous forme liquide. Toutefois, on n'a pas besoin d'un lac, il peut simplement s'agir d'un sol imbibé. De plus, une zone pour être habitable devrait également présenter une température compatible avec une chimie du carbone dans l'eau, à savoir, grosso modo, entre - 5 degrés et 150 ou 180 degrés (Celsius). À partir de là, ces zones habitables peuvent aussi bien être souterraines, sous-marines ou en surface, que ce soit dans un océan ou sur des terres émergées. Ainsi entre dans la définition, par exemple, Europa, un satellite de Jupiter qui est un corps solide avec un océan de quelques centaines de mètres de profondeur entièrement recouvert d'une épaisse croûte de glace. Europa n'est pas dans la zone habitable du Soleil, elle n'a pas d'atmosphère, elle n'a pas d'eau liquide en surface, mais il n'empêche que l'on considère que son océan peut représenter une zone habitable. Mais, après cela, la question est : parle-t-on d'un lieu qui pourrait être colonisé par une vie terrestre telle qu'on la connaît ou bien d'une zone où une nouvelle vie pourrait émerger ? Car ce ne sont pas les mêmes conditions ! Par exemple, si on prend l'oxygène qui nous est nécessaire, c'était un véritable poison pour les premières formes de vie.Aujourd'hui, certains scientifiques doutent de l'habitabilité des planètes qui orbitent autour de naines rouges. Le type d'étoile a-t-il aussi son importance ?Tout dépend de ce que l'on recherche. Si l'on parle d'une charmante adolescente en train de pianoter sur son ordinateur, on ne la trouvera pas à la surface d'un corps dans le voisinage d'une naine rouge. C'est certain. En revanche, s'il s'agit de micro-organismes enfouis sous de la glace, sous des roches ou autre chose, je ne vois pas en quoi ce serait impossible. Entre la bactérie extrêmophile,Deinococcus radiodurans, qui vit dans les conduites des centrales nucléaires et résiste à des radiations phénoménales et la belle girafe qui vit en Afrique, on voit bien qu'il y a une gamme de zones d'habitabilité relativement large. Ce qui n'est pas habitable pour des organismes supérieurs de type eucaryotes - sachant que cela commence avec les lichens - peut très bien l'être pour des micro-organismes, vu les exceptionnelles capacités d'adaptation qu'on leur connaît sur Terre. Les records de température, ce sont 123 degrés (Celsius) avec un micro-organisme qui parvient à se reproduire et - 5 degrés (Celsius) avec encore une activité métabolique. La dessiccation, elle aussi, est phénoménale : on trouve des micro-organismes avec une proportion d'eau infinitésimale. Mais, attention, on parle là de colonisation, d'adaptation, pas d'apparition de la vie.En quoi l'orbite que décrit la planète a-t-elle une influence ?D'abord, elle détermine la température de surface et les radiations reçues. Ensuite, si la planète est verrouillée - comme la Lune qui présente toujours la même face à la Terre - et que son orbite est un peu, voire franchement elliptique, il va y avoir ce que l'on appelle des phénomènes de marées terrestres (par opposition aux marées ayant un effet sur l'eau seule, NDLR) qui vont provoquer alternativement une dilation et une rétraction du noyau rocheux de la planète. Et cela va générer une énergie interne, un dégagement de chaleur qui peut être suffisant pour créer des zones habitables. C'est notamment le cas d'Europa, que nous évoquions tout à l'heure, qui a une face verrouillée vers Jupiter. On suppose que le bas de son océan est chauffé par ce phénomène de marées terrestres puisque le satellite a une orbite légèrement elliptique. Ainsi des satellites, qui ne sont pas dans la zone habitable d'une étoile, peuvent-ils toutefois présenter des zones habitables...