Hans Memling (Seligenstadt, 1439/40-Bruges, 1494),
Fleurs dans un vase, c. 1485
Huile sur panneau de chêne, 29,2 x 22,5 cm, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza
(revers d'un Portrait de jeune homme conservé dans le même musée)
Alors que le monde musical séchait à peine les larmes qu'il venait de verser en abondance en apprenant la mort de Lorin Maazel, c'est un petit mot posté sur le profil facebook de Vox Luminis qui m'a appris la disparition, le 15 juillet 2014, de Dirk Snellings. Si vous n'êtes pas amateur de musique ancienne ou si vous l'êtes sans vous attarder pour autant sur le détail des livrets, ce nom ne vous dira sans doute pas grand chose et je ne suis pas persuadé que les radios « spécialisées » – les guillemets sont plus que jamais de rigueur – françaises vous seront d'un grand secours, étant entendu que l'on y fait peu de cas des musiciens œuvrant dans des segments jugés peu porteurs en termes de marché. Si, en revanche, vous avez pris le temps de vous documenter ou qu'à l'instar de votre serviteur, vous suivez depuis longtemps le travail de la Capilla Flamenca, vous mesurerez instantanément le poids d'une telle perte et la tristesse qu'elle engendre.
Bien que son nom soit apparu très tardivement en sa qualité de directeur sur les pochettes des disques de l'ensemble dont il était le cofondateur, Dirk Snellings était bien celui qui lui insufflait une grande partie de son âme, en assurant la conception des projets et, en étroite collaboration avec Eugeen Schreuers, la majeure partie partie des recherches musicologiques qu'impliquait leur conduite. Ce passionné d'instruments anciens, dont il avait également étudié et pratiqué la facture, s'était tourné vers la viole de gambe avant de focaliser son attention sur le chant ; il demeurait indubitablement quelque chose de son activité de gambiste dans la façon dont il avait façonné la sonorité de la Capilla Flamenca, dans cette fluidité qui jamais n'oublie la couleur, dans l'impression de proximité, d'intimité qui se dégage de ses enregistrements et donne la sensation à l'auditeur que les musiciens ne chantent et ne jouent que pour lui. Primus inter pares, il la dirigeait du pupitre de basse qu'il incarnait avec autant de présence que de subtilité, sans jamais chercher à tirer la couverture à lui, car l'idée de faire de la musique ensemble était primordiale à ses yeux, tout comme celle de chercher en permanence le juste poids des mots, tant du point du vue de l'expression que de la prononciation. En écoutant attentivement les disques de la Capilla Flamenca, on réalise rapidement, outre un naturel assez stupéfiant dans le rendu de la polyphonie, tout ce que leur plénitude et leur transparence doit non seulement à un minutieux travail sur les équilibres, mais aussi à une préparation qui laissait un minimum d'éléments au hasard, particulièrement en termes de contexte et de dialogue entre les arts d'une même époque. C'est sans doute cette volonté d'immersion la plus complète possible, à chaque nouveau programme, dans un univers donné qui explique en grande partie l'extraordinaire justesse des réalisations finales, laquelle est aussi le résultat de l'enthousiasme qui présidait à chacune d'elle et qu'a rappelé Jérôme Lejeune, le directeur du label Ricercar, dans l'hommage pudique et sensible qu'il a rendu à Dirk Snellings. Ce moteur essentiel, auquel s'ajoutait une curiosité toujours en éveil, lui a permis d'entraîner son ensemble sur de nombreux chemins de découverte, élargissant son répertoire jusqu'aux territoires de l'Ars nova d'un côté et, de l'autre, à la création contemporaine.
En novembre 2013, la Capilla Flamenca annonçait la suspension de ses activités de concert et d'enregistrement ; avec la mort de Dirk Snellings, qui exprimait encore, il y a quelques mois, son espoir de reprendre les activités dont la maladie qui l'a finalement emporté le privait, on prend aujourd'hui pleinement conscience que les portes de la Chapelle se sont refermées pour toujours. Reste une discographie impressionnante, dont on se prend aujourd'hui à souhaiter qu'elle fût plus étendue encore, et, chose suffisamment rare pour être soulignée, d'une qualité constante – on espère que les pans difficilement accessibles nous seront rendus sans trop attendre – et, comme consolation, la certitude que le travail d'exception mené par Dirk Snellings constitue un ferment puissant qui permettra à d'autres ensembles de reprendre un flambeau qui ne saurait s'éteindre.
Un bel et souvent émouvant entretien réalisé par Musiq3 dans le cadre de l'émission Mesures sur mesures est disponible en suivant ce lien.
Accompagnement musical :
Si les disques enregistrés par la Capilla Flamenca pour Ricercar, Musique en Wallonie, Et'cetera ou Naxos sont aujourd'hui facilement disponibles, on n'en dira hélas pas de même du fonds Eufoda qui recèle pourtant de merveilleux programmes thématiques – Musique dans les béguinages et les villes de Flandres, Zodiac, Canticum Canticorum, Desir d'aymer, entre autres – qu'il serait urgent de rééditer, peut-être en les regroupant, afin de les remettre à la disposition des mélomanes.
1. Pierre de La Rue (c.1450-1518), Missa de septem doloribus : Kyrie
Capilla Flamenca
Dirk Snellings, direction
Pierre de La Rue, Un portrait musical. 3 CD Musique en Wallonie MEW 1159. Ce coffret peut être acheté en suivant ce lien.
2. Roland de Lassus (1532-1594), Du fons de ma pensée (Psaume 130, mis en rimes par Clément Marot)
Capilla Flamenca
Dirk Snellings
Bonjour mon cœur, œuvres sacrées et profanes. 1 CD Ricercar RIC 290. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.
3. Adriaen Willaert (c.1490-1562), Ave maris stella (avec alternatim grégorien)
Capilla Flamenca
Dirk Snellings
Vespro della Beata Vergine.1 CD Ricercar RIC 325. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.