Hollande pris au piège de la lutte des classes

Publié le 18 juillet 2014 par Délis

L’étude suivante analyse les questions ouvertes du Baromètre Harris Interactive / Délits d’Opinion du mois de juillet 2014. Réalisée à partir de quelques 700 verbatims de sondés n’accordant pas leur confiance à François Hollande, l’étude investigue les raisons du discrédit que subit le Président et relève au-delà des critiques traditionnelles, les signaux faibles en ce début d’été.

1. Déjà l’heure du bilan ?

Deux ans plus tard, c’est le temps du bilan pour certains sondés qui associent clairement l’ère Hollande avec une dégradation de la France, mais également de leur situation personnelle :

« c’est pire qu’avant », « j’ai l’impression que depuis son élection tout va de travers, les déficits se creusent » : pour ces électeurs critiques, le bilan n’attendra pas les 5 ans. Il est déjà marqué du sceau de l’échec.

Au cœur des critiques, il y a le sentiment que la classe moyenne a été sacrifiée. La pression fiscale, qui a fait son apparition en juillet 2013 dans les questions ouvertes, contribue fortement à ce ressentiment : « il ne fait pas assez de choses pour que la classe moyenne puisse augmenter son train de vie. Il nous appauvrit » dit ainsi un sondé. Comme le résume un autre : « depuis son élection, je constate une baisse de mon pouvoir d’achat et une augmentation des mes impôts ».

Derrière ces commentaires, c’est toute la stratégie de Hollande qui est mise en cause. Alors que le Président mise sur un retournement de conjoncture pour inverser sa propre courbe de popularité, les Français n’ont-ils pas déjà rendu un jugement définitif sur « le Président de l’impôt » ?

2. La résurgence de lutte des classes.

Au-delà de la crise du résultat, c’est l’idée de trahison qui affleure chez une partie des sondés. Certes, la critique des promesses non tenues ne date pas d’hier, égrenée dès l’été 2012. Une déception face aux promesses non tenues qui semble indissociable de l’exercice du pouvoir et qui avant François Hollande avait frappé un Nicolas Sarkozy ou un Jacques Chirac.

Mais, à la lecture des questions ouvertes du baromètre Harris Interactive / Délits d’Opinion, ce que frappe est le sentiment croissant d’une gauche infidèle à sa tradition. Pour ces sondés, certes minoritaires, mais qui traduisent néanmoins un courant réel, François Hollande s’est renié, menant en réalité « une politique de droite, une politique libérale ».

Parmi ces électeurs, il y a d’abord la perception d’une action qui fait le jeu de la finance au détriment de l’emploi. «Il ne taxe pas assez les profits des grands groupes destructeurs d’emploi ». Projetant un monde scindé en deux camps irréconciliables, la finance d’une part, les intérêts des salariés d’autre part, ces sondés estiment que François Hollande a trahi, préférant faire « une politique en faveur des investisseurs, plutôt que pour les classes populaires ». « Il est en complète contradiction avec le programme annoncé lors du discours du Bourget, l’amélioration du pouvoir d’achat, la lutte contre la finance » résume ainsi cet électeur de gauche. A mesure que l’orientation sociale-démocrate du Gouvernement se dessine, une frange minoritaire mais bien réelle des électeurs de gauche semble faire sécession.

Une quête de vraie gauche qui ne se limite d’ailleurs pas seulement aux questions financières. On retrouve en effet, parmi certains sondés de gauche, le sentiment authentique que cette politique a perdu en chemin une partie de ses valeurs, de son idéal. « Il prend des décisions qui sont à contrario de ce que devrait être la gauche que ce soit pour la culture ou la défense des droits de l’homme ». Bref, il y a bien l’idée que l’injonction de réalisme économique a stérilisé dans le même élan toute velléité de transformer la société.

Et en filigrane, c’est une rhétorique de lutte des classes qui émaille plus fortement les discours. Un discours qui peut émaner de la gauche, mais également d’électeurs du Front National, réunis par un même animosité du gros, de l’élite qui prospèrent au détriment du peuple: « il démonte le monde ouvrier tout en favorisant le patronat », « voilà un gouvernement qui pratique une politique très défavorable aux classes moyennes qui sont la richesse du pays ».

Une donnée éclairante sur la stratégie de ces députés PS frondeurs. Face au durcissement d’une partie de la base, et alors que le discours anti-élite du Front National séduit les catégories populaires, la tentation est forte pour ces députés de tendre encore les relations avec le Gouvernement pour mieux s’en différencier.

3. Le Président des reculades

Ce qu’il perd d’un côté, en assumant une sensibilité sociale-démocrate, le Président ne parvient à le gagner de l’autre. En cause notamment, l’absence de constance qui interroge la détermination de l’homme. « Il a des bonnes idées, mais il revient en arrière dès la première manifestation », résume ainsi ce sondé qui fait écho à de nombreuses critiques.

Et même si le Gouvernement a tenu bon lors des grèves de la SNCF ou sur le statut des intermittents, l’image préexistante d’un Président qui hésite l’emporte sur la réalité des faits. Preuve que l’image en construction d’un Président fort sera longue à établir. Preuve également que le tempérament de François Hollande lui-même constitue un handicap. Partisan de la méthode du crabe plutôt que du rapport de force, le Président perd ainsi l’occasion d’engranger des victoires symboliques aux yeux de l’opinion, laissant prospérer le sentiment « qu’il y a des décisions non pesées, puis des changements en fonction des grognes ».

4. Un homme déconnecté du peuple

Le candidat Hollande avait été élu pour sa capacité à comprendre les Français. Dans les enquêtes, cette proximité perçue constituait le meilleur atout face à Nicolas Sarkozy. Popularisée à travers la formule de Président normal, si malheureuse pour habiter les habits du nouveau Président, cette proximité avec les Français n’en constituait pas moins un réel atout.

Deux ans d’exercice du pouvoir ont eu raison de ce lien aux Français. L’exercice du pouvoir est en cause. Mais la personnalité du Président également. Le baromètre Harris Interactive / Délits d’Opinion témoigne ainsi d’un optimisme à toute épreuve prompt à faire douter les Français : « Il ne se rend pas compte de l’état dans lequel est la France », « Il paraît déconnecté de la réalité, de ce qu’attend le peuple ».

Sa personne est en cause. Son entourage également – « Il est entouré de personnes qui ne connaissent pas la vraie vie ». Derrière ce discours affleure la critique plus globale des élites, « des idéologues, ceux qui n’ont aucun bon sens des réalités et qui détruisent la France depuis 40 ans. ». Comme l’exprime ce sondé enfin, «il est trop riche pour savoir ce dont les pauvres ont besoin ».

Des critiques qui témoignent ici encore de la perversité du concept de Président normal. Fondé sur le postulat que pour comprendre les aspirations du peuple, il faudrait vivre comme lui, cette notion portait en germe le discrédit à vernir : contraint d’habiter sa fonction et les apparats qui lui son liés, le Président ne pouvait que donner l’impression qu’il se coupait dès lors du peuple.

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Comment remonter la pente ? A la lecture de ces résultats, le risque pour le Président est de perdre sur les deux tableaux, à la fois accusé de détourner les fondamentaux de la « vraie gauche » sans réussir à engranger les résultats d’un tournant sociale-démocrate plus clairement incarné par Manuel Valls.

Mais au delà des choix politiques, c’est aussi la complexité du personnage qui est en cause. Sa placidité face aux critiques et à la crise aliment paradoxalement la défiance d’un peuple envers un Président qui parait déconnecté du réel.

La seule bouée du Président dorénavant : que cela marche. Que la gauche réaliste qu’il veut incarner donne les fruits de la croissance et de l’emploi. Que la confiance inébranlable qui l’anime soit confortée par des résultats tangibles. Mais, alors qu’une partie des Français a déjà posé son verdict sans avoir attendu la fin du mandat, et que la croissance est encore revue à la baisse, l’espoir s’amoindrit.

Faute de résultats, restera alors à François Hollande une fenêtre de tir étroite : celle de réorienter son message sur la politique de proximité au cœur de la vraie vie. Réforme de la dépendance, loi sur la fin de vie…: directement connectées au quotidien des Français, ces réformes bien abordées pourraient offrir une nouvelle frontière de conquête à la gauche. A condition d’éviter deux écueils : la concentration sur les enjeux paramétriques et financiers. Et l’abus rhétorique de mots-fourre tout, dont la générosité figure souvent en bonne place, et qui masquerait cruellement le manque de créativité des mesures.