L'enfant sauvage - 7/10

Par Aelezig

Un film de François Truffaut (1970 - France) avec Jean-Pierre Cargol, François Truffaut, Françoise Seigner - en N.B.

Fascinant.

L'histoire : Fin du XVIIIe. Des paysans trouvent et capturent un enfant qui semble avoir grandi seul dans la forêt. Il est nu, ne parle pas, marche à quatre pattes et se débat férocement. Ce cas étrange arrive aux oreilles du docteur Jean Itard, qui codirige un institut pour sourds et muets à Paris et fait venir l'enfant. Constatant qu'il est inadapté au seul apprentissage de la langue des signes, mais qu'il semble intelligent, il le prend chez lui pour entreprendre de l'éduquer et de faire avancer la connaissance scientifique de l'apprentissage chez l'homme...

Mon avis : Ce film est difficile d'accès. Il y a d'abord le noir et blanc qui rebutera toujours certains. Les images sont très belles au niveau de la composition, du cadrage... mais le grain de la pellicule est grossier, ce qui nuit à la netteté. Et personnellement, j'ai du mal avec ça, je suis très sensible à la finesse de l'image. Et puis le jeu très particulier de François Truffaut agace, c'est le moins qu'on puisse dire : il est meilleur réalisateur qu'acteur, c'est clair ! Monocorde, monotone, il est d'un ennui à pleurer !

Mais on est rapidement pris par l'histoire hors norme de ce petit garçon à qui l'on apprend à coups de bons points et de mauvais points l'art d'être civilisé. La question se pose : valait-il mieux le laisser à l'état sauvage, heureux et insouciant, ou bien fallait-il vaille que vaille l'éduquer pour lui donner accès à la société des hommes ?

L'histoire est vraie : Victor a passé six ans avec le docteur Itard, de 1800 à 1806 puis, après une nouvelle période à l'institut des sourds muets, il a été confié jusqu'à 1828, date de son décès, à la gouvernante, Madame Guérin. Il n'a jamais réussi à parler ni à apprendre la langue des signes, mais communiquait et montrait des signes d'affection. Les nombreuses cicatrices sur son corps tenderaient à démontrer qu'il a été abandonné vers cinq, six ans (aucun enfant ne peut survivre seul avant) et qu'il avait subi de mauvais traitements ; car les marques laissées ne sont pas celles que feraient des griffes ou des morsures d'animaux. Et le fait qu'il n'ait pas réussi à s'intégrer totalement est probablement dû à des problèmes mentaux (schizophrénie, autisme...) développés dans sa petite enfance et accentués par son abandon et sa survie totalement seul. Il est mort jeune, oublié, emmuré dans sa solitude et son mystère : nul ne sait qui il était. Une folle rumeur a couru un temps, alimentée en fait par une pièce de théâtre : il serait le jeune fils de Louis XVI qui avait totalement disparu au moment de la révolution ; il se serait enfui de la prison du Temple et caché dans la forêt pour revenir un jour récupérer son trône...

On suit avec passion les réactions et les progrès de l'enfant, qui nous renvoient à une triple thématique : les premiers pas du bébé et son acquisition des connaissances, dans quel ordre et comment ; l'homme préhistorique et sa découverte graduelle du langage et de l'idée de famille, de société ; l'éducation, encore aujourd'hui sujette à polémique, des jeunes autistes ou déficients mentaux et/ou physiques. Un considérable champ d'investigations diverses !

De tout cela, il ressort une chose essentielle : la communication. Pourquoi fait-on tout ça ? Pour communiquer avec ses semblables (langage, gestuelle), vivre harmonieusement en société (morale, courtoisie, rites) et partir à l'assaut de l'immensité de la connaissance humaine (culture, épanouissement). Voilà la règle fixée par l'homme depuis l'aube des temps pour faire un homme civilisé et donc heureux. Qui trouve aujourd'hui ses limites et se trouve carrément remise en question, d'une part par les tribus dites "primitives" que l'on extermine peu à peu et qui semblaient pourtant fort bien se passer de la civilisation, heureuses et insouciantes ; d'autre part par les partisans de l'anti-consommation et de la décroissance, condamnant le monde ultra matérialiste et superficiel dans lequel nous vivons. Ce qui impliquerait, à long terme, le retour à la tribu, au local, avec une communication réduite au "clan". Et pourquoi pas ?

Quid de l'homme seul dans la nature ? Impossible diront les ethno et sociologues ; l'homme est un animal qui vit en groupe. Que serait devenu cet enfant ? Comment a-t-il survécu sans affection ? A-t-il noué des liens avec des animaux (on ne le voit jamais dans le film), comme Tarzan ?

Un beau film, donc, qui suscite moult réflexions... Mais un peu trop didactique et manquant d'émotion. Pourtant Truffaut retrouve-là son point sensible : l'enfant perdu, abandonné. Une sorte de petit Antoine Doinel, totalement sauvage. A noter d'ailleurs la performance singulière du jeune Jean-Pierre Cargol qui n'a jamais refait de cinéma depuis ! Surnommé Rey chez les gitans (il est le neveu de Manitas De Plata), il est guitariste et chanteur de flamenco.

Pour l'anecdote : il est amusant de voir dans les traits de Françoise Seigner le visage de sa nièce Mathilde et de constater qu'elles ont quasiment la même voix !

Cet article a été programmé car je suis absente jusqu'au 28 juillet. Je répondrai à vos commentaire dès mon retour.