À Nice, ce mardi 15 Juillet était diffusé en avant-première, quelques heures avant la sortie nationale, le dernier film d’André Téchiné, L’homme qu’on aimait trop. Cette biographie partielle de Maurice Agnelet et Agnès Le Roux retrace l’histoire de leur rencontre, et les circonstances troubles de la disparition de l’héritière du Palais de la Méditerranée. Téchiné réussit un instantané au plus proche malgré la complexité de l’affaire. Ni à charge ni à décharge, L’homme qu’on aimait trop, évite de tomber dans l’interprétation exagérée, malgré un inévitable aspect romancé, et Téchiné livre un exercice réussi en traitant d’un fait d’hiver macabre sans tomber dans le sordide. Tout le contraire d’Arcady.
Après Eric Ciotti et Christian Estrosi, dégoulinant de bon sentiments lors de l’avant-première de 24 jours, voilà Patrick Allemand qui lance la projection du film. Celui-ci arrive avec une langue de bois extraordinaire à parler des subventions régionales pour le cinéma et des retombées économiques d’un tournage, en citant les quelque trois cents collaborateurs du film, sans évoquer une seule fois la bataille des intermittents. Rajoutons à cela, qu’avant de se féliciter des retombés économiques du tourisme, nos hommes politiques devrait peut-être se pencher davantage sur les conditions de travail désastreuses qui sévissent dans le milieu de l’hostellerie et de la restauration, fonctionnant comme une mafia, et particulièrement sur la côte d’azur. Quand cessera cette sale habitude que prenne les cinémas Pathé d’inviter des hommes politiques venus vendre leurs programmes lors d’avant-première cinéma?
Agnès Le Roux (Adèle Haenel) et Maurice Agnelet (Guillaume Canet)
Nous sommes en 1976. Agnès Le Roux (Adèle Haenel), fille de la propriétaire du Palais de la Méditerranée, revient vivre à Nice, après l’échec de son mariage, et une escapade en Afrique. La jeune femme entretient des relations compliquées avec sa mère, Renée (Catherine Deneuve), qui refuse de lui racheter ses actions. Elle rencontre un jeune avocat, Maurice Agnelet (Guillaume Canet), travaillant aux côtés de sa mère. Tombant éperdument amoureuse de ce dernier, elle accepte qu’il est plusieurs maîtresses. Dans le même temps, celui-ci la convint de trahir sa mère au conseil d’administration, au profit de Fratoni (Jean Corso), parrain local, acoquiné avec l’administration Médecin, dont on connaît la gestion mafieuse du temps de son règne niçois. Elle partage l’argent obtenu de Fratoni, en deux parts égales, et donne un procuration à Maurice Agnelet. Quelques mois plus tard, Agnès Le Roux disparaît.
Renée Le Roux (Catherine Deneuve) et Maurice Agnelet (Guillaume Canet)
L’homme qu’on aimait trop est un titre qui inquiéterait au premier abord, tant il suggère que cette homme serait une sorte de victime, aimé malgré lui. C’est le ressenti que l’on a dans une première phase du film. Première partie, où l’avocat Agnelet, séduisant et intelligent, est en opposition avec la propriétaire du Palais de la Méditerranée. C’est elle qui est présentée sous son plus mauvais jour. Elle est mauvaise gestionnaire, arrogante, et peu aimante envers sa fille. Des traits de caractère, qui ressortent lors des minutes du procès, où elle manque de faire larmoyer la salle en expliquant que, pour payer les poursuites judiciaires, elle doit faire sa cuisine et son ménage toute seule. L’amour unilatérale qui unit Agnès à Maurice se forge dans cette opposition. Téchiné met en lumière des rapports familiaux abîmés par des intérêts financiers jugés primordiaux pour les deux partis. L’image, malheureuse mais réaliste de ces gens-là, comme dirait Jacques Brel. Quant à Maurice, s’il a un mode de vie dissolu, il énonce clairement le contrat, et Agnès l’accepte. Seulement voilà, par petites touches, nous sont révélés les signes probants d’un esprit manipulateur. Agnelet enregistre toutes ses conversations avec une minutie maladive, et les réécoutent avec un fétichisme non dissimulé. À plusieurs reprises, sa manière d’humilier Agnès en exigeant des excuses, alors qu’il devrait la serrer dans ses bras, met le spectateur particulièrement mal à l’aise. C’est en naviguant dans ces eaux troubles, qui ont donné trois procès en assise, et des retournements de situations retentissants, que Téchiné réussit à donner un portrait nuancé d’une histoire compliquée, nécessairement romancée. Mieux que cela, Téchiné fait émerger en nous des sentiments universels. Qui ne remuerait pas ciel et terre, à l’image de Renée Le Roux, et selon les mots de Stig Dagerman, pour que "le bourreau et la malheureuse ne jouissent pas de la même mort". Le plus dur à supporter est finalement, la détresse d’une mère qui ne pourra pas offrir de sépulture à sa fille.
Maurice Agnelet (Guillaume Canet) et Agnès Le Roux (Adèle Haenel)
Aux yeux de la justice, Agnelet a été reconnu coupable, mais il continue de clamer son innocence. Guillaume Canet, qui a entretenu une correspondance avec lui, pour les besoins du film, parle d’un homme d’apparence manipulatrice. Au-delà du meurtre, le silence d’Agnelet empêche les proches d’Agnès de faire leur deuil. Agnès Le Roux est morte d’aimer, par excès de confiance, et l’absence de corps la prive des honneurs que l’on doit à tout les amants malheureux. Téchiné en a fait une icône tragique, remarquablement interprétée par la solaire et saisissante Adèle Haenel. À l’inverse de 24 jours, Téchiné ne fait pas son beurre d’un fait divers récent, en versant dans le voyeurisme crasse et les stéréotypes. Nous vous conseillons L’homme qu’on aimait trop qui s ‘éloigne du biopic mélodramatique pour offrir une véritable tragédie grecque.
Boeringer Rémy
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