« Les autorités et les marchands règlent peut-être nos misérables jours, mais ce sont les montagnes et la mer qui règnent sur nos vies. Elles sont notre destin, tout du moins c'est ainsi que nous pensons parfois, et c'est évidemment aussi ce que tu ressentirais si tu tétais réveillé et endormi des dizaines d'années durant au pied de ces mêmes montagnes, si ta poitrine s’était élevée et affaissée a rythme du souffle de la mer sur nos barques fragiles. »
J'ai lu d'une seule traite Entre ciel et terre. Avec ses mots, sa sensibilité, son sens de la description de la nature, des rapports humains et sociaux, Jón Kalman Stefánsson a écrit un roman envoûtant.
« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. Pourtant, à eux seuls, ils ne suffisent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n'avons rien d'autre que le bois d'un crayon auquel nous accrocher. »
Le principal personnage, âgé d'une dizaine d'années, va vivre une aventure tragique et initiatique. Au cours d'une tempête en mer, son ami meurt de froid. Il décide alors d'abandonner sa saison de pêche pour aller annoncer cette terrible nouvelle à la veuve et lui remettre quelques effets personnels. Mais avant, il doit rapporter le recueil de poésie que son ami avait emprunté...
« Le récit a duré plus de temps qu'il ne l'avait prévu. Il s'est oublié lui-même. Égaré. Il a déserté l'existence, happé par cette histoire où il a touché du doigt son ami défunt, le ramenant brièvement à la vie. Peut-être le but de ce récit était-il de ressusciter Barour, d'entrer par effraction dans le monde des morts avec les mots pour armes. »
Dans l'Islande du 19ème siècle, les conditions de vie sont extrêmement rudes. Une bonne partie de la population vit sur le fil du rasoir de la pauvreté en pratiquant selon la saison l'agriculture et la pêche. Les livres sont rares sur cette terre hostile. Mais, certains personnages atypiques ont développé une passion pour la littérature, plus particulièrement pour la poésie, jugée suspecte de manière générale, comme Kolbeinn, cet ancien capitaine de navire devenu aveugle, ou l'ami de Barour qui est mort qu'il avait oublié sa vareuse.
« Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort. »
Leur passion n'est pas un simple hobby. Elle leur est essentielle, vitale et, parfois, mortelle... Entre ciel et terre, un grand roman empreint de poésie.