S’il est bien un milieu dont on pourrait penser qu’il échappe à la question des discriminations, c’est bien celui de la culture. Le milieu artistique est en effet souvent représenté comme ouvert et de tendance plutôt progressiste. Mais une récente étude menée par la firme Vivendi tend à démontrer le contraire : ainsi, les industries du cinéma et de la musique n’échappent pas au sexisme des autres secteurs économiques.
C’est ce thème qu’a abordé Pascale Thumerelle, directrice de la responsabilité sociétale chez Vivendi, lors d’une intervention suite à la projection du film Avec Sonia Weider-Atherton de Chantal Akerman, mercredi après-midi au Gallia. Pour avoir plus de détails sur les enjeux en question, j’ai souhaité rencontrer Mme Thumerelle en personne.
Pourriez-vous résumer votre rôle au sein du groupe Vivendi ?
Pascale Thumerelle : Je suis directrice de la responsabilité sociétale d’entreprise, ce qui consiste à identifier les enjeux stratégiques de notre responsabilité à l’égard de la société, enjeux qui contribuent également à améliorer la performance économique du groupe. Dans notre cas, étant un groupe de production et de distribution de contenus, dans les médias et dans les industries culturelles, nous avons défini dès 2003 trois enjeux stratégiques, qui sont la protection et l’accompagnement de la jeunesse dans ses usages numériques, la promotion de la diversité culturelle dans la production de nos contenus, et le partage de connaissances qui consiste notamment à favoriser l’accès à l’information, aux outils numériques et à promouvoir le pluralisme des contenus. C’est dans le cadre du deuxième enjeu que je me suis intéressé à la place des femmes dans la création artistique en Europe.
Comment s’est prise la décision, chez Vivendi, de créer un service chargé de la responsabilité sociétale du groupe ?
Déjà, nous avons beaucoup d’obligations réglementaires, car nous sommes un groupe côté dans le CAC 40 : nous avons eu la loi NRE de 2001 qui obligeait les entreprises à rendre compte de leur impact environnemental et social, et depuis 2010 nous avons la loi Grenelle 2, qui oblige à rendre compte de cet impact social, environnemental et également sociétal. Nous avons saisi cette opportunité pour faire part de tous les indicateurs que l’on remonte depuis 2004 sur nos différents enjeux sociétaux. Ça, c’est la partie réglementaire. L’autre côté est stratégique : il vaut mieux anticiper tout ce qui peut accompagner le développement économique de nos offres, de nos services, dans un environnement qui soit respectueux des droits humains. C’est bénéfique à la fois pour nos clients, nos publics, et pour l’entreprise.
Comment le groupe Vivendi peut-il agir pour améliorer la situation décrite dans votre étude ?
J’ai pris les deux thèmes du cinéma et de la musique, car ce sont les deux activités principales du groupe Vivendi : nous réunissons Universal Music Group, numéro 1 de la musique dans le monde, et le groupe Canal+, présent en France mais aussi au Vietnam, en Pologne, en Afrique, doté d’une filiale très importante dans le domaine du cinéma, Studiocanal. On a donc là un terrain d’expertise majeur. Les statistiques au niveau européen montrent que les femmes n’ont pas un véritable accès à la prise de décision culturelle, et en tant que créatrices, n’ont pas toujours accès aux moyens de production dont elles auraient besoin. J’ai simplement voulu, par cette étude réalisée en partenariat avec le laboratoire de l’Egalité, livrer un état des lieux de la place des femmes dans le cinéma et dans la musique en Europe. Maintenant, ce que je souhaite, c’est réunir mes collègues au sein d’Universal et du groupe Canal+ pour voir comment mesurer la place des femmes dans notre programmation, dans nos signatures et dans (supprimer toutes) les activités créatives du groupe. Ce qui m’a intéressée particulièrement dans la réalisation de cette étude, c’est vraiment d’associer le réseau des chercheurs du Laboratoire de l’égalité au réseau de professionnels au sein de Vivendi, et des artistes qui travaillent avec nous. Cette démarche me paraît très importante pour partager cet état des lieux et faire émerger une prise de conscience.
A votre avis, les festivals tels celui de l’Abbaye aux Dames peuvent-ils jouer un rôle dans cette prise de conscience ?
Oui, par la programmation, par la composition des orchestres, et dans le choix d’invités. Par exemple, en janvier prochain, Laurence Equilbey, une des rares femmes chefs d’orchestre française, sera l’invitée de l’abbaye-aux-dames. C’est donc par le choix de programmation, par le choix des œuvres aussi (lors d’un concert donné hier, les œuvres de compositrices méconnues comme Mel Bonis étaient au programme), par toute une palette d’actions que l’Abbaye aux Dames peut en effet promouvoir la place des femmes dans la création artistique musicale.
Propos recueillis par Mahel Nguimbi