Je peux être “très incisif, hystérique, excentrique, mais aussi très doux”. Qui suis-je?
Publié le 17 juillet 2014 par Abbaye Aux Dames, La Cité Musicale De Saintes @Abbayeauxdames
Après les mésaventures de notre Sherlock Holmes du dimanche (c’est le cas de le dire) et les deux rencontres de Margot, l’une pianesque et l’autre violonesque (ne cherchez pas ces adjectifs dans le dictionnaire, vous perdriez votre temps), me voici de nouveau chargé de la série « un jour, un instrument “. En ce midi ensoleillé du 16 juillet, je me retrouve donc à la case départ de chaque article : la recherche d’un sujet.
Le matin-même, Eleonore et moi avons assisté à une représentation de Janáček et de Chostakovitch donnée par le Het Collectief, et je dois dire que leur sextuor d’instruments à vent m’a plutôt touché, moi qui ne suis pourtant pas fan de cuivres, haut-bois (le cauchemar de ma collègue) et autres clarinettes… Eh bien le voilà, tient, mon instrument du jour ! Ce sera la clarinette !
Si l’objet de ma quête est maintenant bien défini, je dois avouer que l’épopée elle-même met un certain temps avant de démarrer. C’est ainsi qu’un repas et une interview plus tard, me voilà parti à la recherche de mon ou ma clarinettiste. Après un rapide coup d’œil sur google image pour vérifier l’allure de l’instrument (vous constaterez l’étendue infinie de ma culture musicale), je demande à la première personne croisée dans le couloir de l’administration si elle peut me donner le nom d’un joueur de clarinette. Oui, je suis comme ça, moi, j’y vais au hasard, sans hésitation, j’ose demander n’importe quoi à n’importe qui.
Comment ? Le nom de la personne croisée en premier ? Stéphane Maciejewski… Ce dernier me donne deux noms, deux clarinettistes de l’Orchestre des Champs-Élysées. Bonne piste, me dis-je, me voyant déjà interviewer mon musicien dans moins d’une heure. Visiblement, il m’arrive d’être un peu trop rêveur. L’OCE est aujourd’hui en off, et je découvre après plusieurs tentatives pour les joindre qu’il me sera impossible de les voir avant demain… Retour à la case départ.
Tout piteux, mais pas désespéré, je tente une autre technique : je me fis à l’oreille. Laissant traîner celle-ci à travers un des bâtiments de l’abbaye, je finis par percevoir quelques notes d’instruments à vent, probablement des répétitions. Je pose quelques questions, Demande qui répète en ce moment : ce n’est autre que le Het Collectief qui prépare son concert du soir, du Janáček, encore une fois. Dans l’ensemble, je crois bien distinguer un clarinettiste fort chevelu, ce qu’un autre musicien me confirme. À partir de là, c’est le pied de grue. En attendant, je griffonne mon carnet de notes, prépare l’accroche de l’article que vous lisez en ce moment-même.
Enfin, la répétition se termine. Je viens à la rencontre de notre musicien du jour. Julien Hervé a 33 ans, et me confirme qu’il fait bien partie du Het Collectief, ainsi que de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Sa première rencontre avec la clarinette, à 6 ans, il la doit à ses parents : sans être musiciens, tous deux écoutaient beaucoup de musique classique, notamment le concerto pour clarinette de Mozart. Mais sa dentition retarde un peu sa vocation : « Mes dents définitives n’avaient pas encore poussé, alors ma prof de clarinette de l’époque, Jean-Noëlle Croque, m’a dit de revenir dans deux ans et de commencer un autre instrument en attendant, donc j’ai commencé le piano. »
Malgré ce contre-temps, Julien est plutôt chanceux : il habite juste à côté des usines Buffet Crampon, productrices de clarinette. « Ce qui fait que le conservatoire de ma ville, Mantes-la-Jolie (78), avait toujours bénéficié d’excellents professeurs, qui venaient ensuite essayer à l’usine. J’ai donc eu la chance d’avoir d’excellents professeurs dès mes débuts ». Et pourquoi donc la clarinette, et pas le piano par exemple ? D’abord par raison pratique, la maîtrise de la clarinette lui demandant moins de travail que celle du piano ; mais ce n’est pas le seul élément décisif : « ça c’est aussi fait sur le son, j’étais amoureux de ce son-là. Et le répertoire proposé est gigantesque ».
Je lui demande alors comment s’est fait le choix de devenir professionnel. « Ça a pris un certain temps. J’ai toujours fait beaucoup de musique à côté de l’école. Après mon bac, j’ai décidé de faire des études de physique, j’en ai fait pendant deux ans à l’université, et ce n’était vraiment pas ça… C’est lors d’un voyage à Cuba que j’ai été bouleversé par la présence de la musique, et j’ai décidé que je voulais pas devenir physicien, mais musicien. »
Pour Julien, la clarinette est remarquable par sa polyvalence, sa capacité à exprimer toutes les émotions « ça peut être très incisif, hystérique, excentrique, mais aussi très doux, ça se mélange très bien avec la voix par exemple, il y a un grand répertoire pour clarinette et soprano. » Suite à ma rencontre de samedi avec Ageet Zweistra, qui m’avait parlé de son attrait pour le violoncelle en quatuor plus qu’en solo, je me demande si la question se pose aussi pour la clarinette. « C’est un instrument qui a à la fois un rôle central dans les orchestres, avec tout le répertoire des symphonies, des concertos, et aussi dans les musiques de chambre. […] Ce serait réducteur de ne traiter de la clarinette qu’en orchestre ou en musique de chambre. J’ai énormément de chance de combiner l’orchestre et la musique de chambre ».
Une question me taraude plus que les autres : celle du rapport à l’instrument, surtout depuis avoir lu une petite phrase du pianiste Alexandre Tharaud, sur son rejet du « fétichisme de l’instrument » ; je questionne le clarinettiste à ce sujet : « C’est assez curieux, j’ai pris conscience de mon rapport à l’instrument cette année, puisque j’ai changé d’instruments. J’ai revendu mes anciennes que j’avais depuis 15 ans. Pour moi, c’était un instrument, donc pas quelque chose d’assez sentimental. Mais finalement, ça m’a un peu bouleversé de faire mon dernier concert avec ces instruments ! Je crois que je suis en train de changer de rapport à mes instruments. » Puis il m’explique que le musicien vit un véritable parcours avec ses clarinettes : « un instrument neuf est encore très surprenant, peut aller dans plein de directions possibles, qu’on modèle, avec lequel on apprend à faire du chemin ensemble ».
Pour la forme, je lui demande son morceaux préféré, même si je pense avoir compris qu’il est quasi impossible pour un mélomane de ne répondre qu’un seul nom à cette question. « Je ne pourrais pas vous en dire une ; il y aurait L’Art de la fugue de Bach, Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, La nuit transfigurée de Schoenberg, Le concerto pour clarinette de Mozart, et un dernier… La troisième symphonie de Brahms ».
Mahel Nguimbi