Gaumont Parnasse, salle 9, 16h30. On est vendredi et je
presse le pas pour ne pas rater le début de la séance de « Under the
Skin » de Jonathan Glazer. Depuis un certain jour d’avril 2000 et l’apparition
de la carte UGC Illimitée, il y a quatorze ans déjà, je ne fréquente plus
beaucoup les salles Gaumont. Mais j’aime trop naviguer d’une salle de cinéma à
une autre pour ne pas de temps à autre m’aventurer hors des salles
« illimitées ». Il m’arrive de m’engouffrer dans une salle Gaumont ou
Pathé, comme l’année dernière lorsque j’ai testé le Pathé Beaugrenelle pour
voir la deuxième partie du Hobbit en Dolby Atmos (une petite déception d’autant
qu’il faut y choisir sa place à la caisse, une problématique qui m’a rappelé
les salles de ciné coréennes).
Quand je discute qualité de salles avec un adepte de la
carte Gaumont/Pathé, celui-ci (ou celle-ci) me vante en général la qualité
technique accrue dans ces salles en comparaison des salles UGC. C’était donc
une occasion de vérifier s’ils avaient raison. D’autant que je suis un spectateur,
hum, un peu maniaque, qui voudrais que chaque projection se déroule
parfaitement, sans accroc, sans mauvaise surprise. Que rien ne me sorte du film
que je suis venu voir. Ni bavardage,
ni bagarre, et si les spectateurs
sont la plupart du temps ceux qui risquent le plus de gâcher un film, ni
problème technique non plus.
Lorsque je suis entré dans la salle 9 du Gaumont Parnasse
pour « Under the Skin », j’ai senti une salle agitée devant les
publicités qui avaient déjà commencé. Pas une agitation de spectateurs
turbulents, mais plutôt de spectateurs déconcertés par ce qu’ils voyaient à
l’écran. En entrant dans la salle, j’étais passé devant deux employés du
Gaumont, dont l’une disait à l’autre : « Qu’est-ce que je fais alors
pour la 9 ? », et en jetant un œil à l’écran après m’être posé au 3ème
rang, je compris d’où venaient l’agitation et le questionnement de l’employé.
Tout un coin de l’écran était dans l’ombre, comme si le projectionniste avait
accroché sa veste à un bord du projecteur. Mais à l’évidence, le problème
n’était pas aussi simple.
Un spectateur assis sur le même rang que moi faisait des allers
retours hors de la salle, probablement pour signaler ce problème manifestement
déjà connu de l’équipe du cinéma étant donné la phrase que j’avais attrapée
avant d’entrer dans la salle. Au début je ne m’inquiétais pas trop. Après tout,
on me vante régulièrement les qualités des salles Gaumont, et à vue de nez le
problème ne semblait pas insurmontable. J’ai cependant commencé à douter
lorsque la même jeune femme que j’avais entendu questionner son collègue est
entrée dans la salle alors que les pubs n’étaient pas encore terminées, pour
annoncer peu ou prou qu’ils étaient au courant du problème technique rencontré
et qu’ils mettaient tout en œuvre pour qu’il soit réglé avant que le film
commence.
Le film commença moins de cinq minutes plus tard… et
évidemment, la même ombre accrochait l’écran, dans sa partie gauche (comme
symbolisé ci-contre). Aïe. Des mois que j’attends le film de Jonathan Glazer,
j’en retenais mon souffle lorsque la salle s’est éteinte, et voir ce problème
technique se dresser sur le chemin a très vite mis à mal mon humeur. Il m’en
faut peu pour que je m’énerve au cinéma, et là on était loin du
« peu ». A mesure que le film commençait et que les séquences
s’enchaînaient, l’ombre persistait. Deux personnes du staff du cinéma se sont succédé
dans la salle pour constater le problème à l’écran. Deux minutes, cinq minutes,
neuf minutes, treize minutes, mais aucun arrangement en vue, et aucune
intervention de quelqu’un du cinéma pour nous informer d’un éventuel règlement
du problème.
Inutile de préciser que pendant ce premier quart d’heure
pendant lequel je laissais une chance au cinéma, il m’était quasi impossible de
me concentrer sur le film. La seule chose que je voyais, c’était cette ombre
qui agissait comme un aimant pour mes yeux, qui ne voyaient rien d’autre que
ces 2m² qui m’obsédaient et me gâchaient « mon » film.
Et puis j’ai craqué, j’ai attrapé mes affaires et je suis
sorti de la salle. Je suis tombé sur l’une des personnes qui étaient passées
dans la salle pendant les dix premières minutes, je lui ai demandé avec la mâchoire
crispée s’il était possible de se faire rembourser sa place pour « Under
the Skin », à quoi elle a promptement répondu par l’affirmative en se
confondant en excuses, affirmant sans grande assurance que le problème serait
réglé pour la prochaine séance. Mais c’était mon seul créneau du jour pour voir
un film, et leur problème technique insoluble venait de le gâcher. En plus du
remboursement de ma place, j’ai eu droit à une place gratuite supplémentaire à
utiliser au même Gaumont Parnasse d’ici la fin de l’année.
Je me demande combien de spectateurs sont partis après
moi. Le personnel du cinéma semblait mal à l’aise face au problème technique,
mais il me paraît tout à fait incongru que la projection ait eu lieu malgré ce
problème technique, en toute connaissance de cause de la part des responsables
du cinéma. J’espère que chaque spectateur se sera vu offrir une place gratuite
à la sortie.
Finalement j’ai pu voir « Under the Skin » deux
jours plus tard dans des conditions optimales, sans aucune zone sombre barrant
une partie de l’écran et m’empêchant de plonger dans cet étrange voyage
cinématographique, unique et fascinante plongée dans la découverte d’une
humanité, plus symbolique que démonstrative.
Non, je me satisfais décidément parfaitement d’avoir une
carte UGC plutôt que Gaumont.