L'une des belles images de cette soirée © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus
NB: incertitudes sur les crédits photos, certaines provenant d'Amsterdam (2012) et d'autres d'Aix.
En programmant La Flûte Enchantée, Bernard Foccroule est au cœur de la tradition d’Aix, née autour de Mozart. En la confiant à Simon Mc Burney, il la place résolument du côté de l’enchantement et du visuel. En appelant un orchestre composé d’instruments anciens (comme pour les trois productions du Festival), il veut imprimer une couleur à la mode et en même temps une approche particulière du son, correspondant mieux à une recherche d’authenticité qu’on poursuit sans jamais évidemment atteindre : nous sommes des oreilles du XXIème siècle et non du XVIIIème, et nous écoutons comme on le fait au XXIème siècle. En confiant pour l’essentiel l’œuvre à des chanteurs jeunes, il répond à une des fonctions du Festival qui de révéler.
Du point de vue de la programmation, c’est sans conteste cohérent, et globalement réussi, vu le succès auprès du public.
Le Grand Théâtre de Provence, au style architectural post-mussolinien cher à Vittorio Gregotti n’a pas une acoustique facile, et dans cette production, le plateau vide dessert le retour du son : quand les chanteurs sont en fond de scène, on ne les entend pas. En revanche, au proscenium, on les entendrait presque trop.
Ce plateau mettant à nu les grilles, avec des dispositifs comme cette double scène suspendue qui monte ou descend selon les scènes, et les techniciens des nombreux textes à écrire ou des bruitages sur les côtés , tout rappelle évidemment l’univers de Peter Brook : la référence est explicite , mais ce qui fait le caractère des spectacles de Simon Mc Burney, c’est l’utilisation en une étonnante fluidité de dispositifs vidéo non illustratifs, mais intégrés à l’action, mais créateurs d’action, et qui donnent d’étourdissants résultats, comme dans Cœur de Chien de Raskatov, vu à Lyon en janvier dernier.
Scène finale © Pascal Victor/ArtcomArt
Il y a dans Zauberflöte quelque chose qui annonce Parsifal : deux royaumes antagonistes, celui de la nuit et du jour, comme dans Parsifal celui du Mal et du Bien et qui chacun proviennent du même monde originel, un héros voyageur qui vient de l’un pour aller vers l’autre, une résolution harmonieuse où le royaume de la Nuit/du Mal est vaincu. Les chœurs cérémoniels, un Sprecher qui annonce Gurnemanz (dans son rôle de « portier » du temple), des épreuves (pour Parsifal, les filles-fleurs et Kundry sont aussi des épreuves), et Simon Mac Burney installe cette idée de royaume clos, gouverné par une sorte de Conseil – au début du second acte- qui va statuer sur Tamino et Pamina. C’est d’ailleurs l’un des meilleurs moments de ce spectacle, où le plateau suspendu sert de table de conseil autour de laquelle sont assis les dignitaires en costume gris et cravate, comme nos politiques sans couleur d’aujourd’hui.
Papageno & Papagena © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus
S’il faut chercher la couleur, c’est ni sur les costumes des compagnons de Sarastro, ni sur le plateau nu, l’espace vide si cher à Peter Brook à qui cette mise en scène doit beaucoup, mais chez Papageno et Papagena, en rose fuchsia, un Papageno qui tient un peu du vagabond, comme chez Carsen (à l’Opéra de Paris cette année), accompagné d’un groupe agitant des feuilles de papier figurant les oiseaux (un peu répétitif).
Mc Burney investit l’espace intégral de la scène, de l’orchestre et de la salle, comme espace unique, et donc évidemment, tous les discours bien-pensants de Sarastro s’adressent en priorité au public, Sarastro étant vu comme un homme très politique.
Reine de la Nuit (Amsterdam) © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus
Grande surprise qui a provoqué bien des commentaires, la Reine de la nuit porte canne et circule en fauteuil roulant, manière de montrer à la fois la perte de son pouvoir, et sa volonté de vengeance, née de la frustration y compris physique. Du même coup, le pardon final accordé par Sarastro dans cette mise en scène apparaît évidemment comme un geste de clémence à la Titus (rappelons que les deux œuvres sont de la même année) et donc éminemment politique, mais en même temps un geste de simple humanité envers un être diminué et donc humilié. Carsen allait beaucoup plus loin dans cette alliance Sarastro/Reine de la Nuit, en en faisant des alliés qui montaient toute l’histoire.
Mais ce qui frappe dans le travail de Simon Mc Burney, c’est à la fois des choses dites, d’autres suggérées, d’autres évoquées, mais pas de propos clair qui donnerait une clef à l’œuvre ou sinon au moins une direction. Les idées pullulent, diverses, ironiques, souriantes, dramatiques, les images sont quelquefois frappantes (comme Le couple Tamino-Pamina évoluant comme dans les airs), mais pour moi moins évidentes que dans Cœur de chien. On reste dans une vision syncrétique, attendue, assez banale de la Flûte enchantée, séduisante sur le moment et procurant d’excellents souvenirs, mais au bout de quelques jours, il n’en reste pas vraiment de trace profonde, une sorte de superficialité signifiante, dirait Barthes.
Epreuves..©.De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus
Visiblement l’équipe musicale a adhéré au propos, et la mise en scène porte ce travail d’équipe, qui donne à l’ensemble une fraîcheur sinon inédite, du moins évidente. À commencer par l’orchestre, mené avec vigueur, avec précision, avec dynamisme mais aussi avec profondeur par le jeune Pablo Heras-Casado, aussi à l’aise dans ce répertoire que dans le contemporain où il excelle, Profondeur, parce qu’il fouille la partition, il en isole des phrases inédites, donne une vraie couleur à l’ensemble, avec beaucoup de finesse. Et les Freiburger Barockorchester, pour moi l’une des grandes références en matière d’orchestre d’instruments anciens, le suivent avec un son d’un relief et d’une justesse inhabituelle dans ce type de formation ; à part de menues scories aux bois, c’est vraiment un son net, plein, et quelquefois aussi subtil, qui est produit, et qui donne une couleur d’incroyable jeunesse à l’opéra de Mozart. Dans un répertoire aussi attendu et aussi connu, c’est exceptionnel.
Du côté de la distribution, Bernard Foccroule a misé sur une équipe jeune, une sorte de concentré du chant de l’avenir. J’ai déjà évoqué les problèmes acoustiques qui naissent souvent de la position sur scène, mais certains n’ont pas cependant la belle homogénéité que réclame le chant mozartien. Ce n’est pas le cas du Tamino de Stanislas de Barbeyrac. J’ai déjà plusieurs fois évoqué dans des rôles moins importants les qualités de ce chanteur.
Tamino © Pascal Victor/ArtcomArt
Il compose ici un vrai Tamino, avec une voix bien assise, et justement très homogène sur l’ensemble du registre, sans jamais forcer, avec une sûreté technique à noter. La voix est large, sonore, l’allemand est vraiment excellent, parlé ou chanté. Il a ce que certains Tamino n’ont pas, à savoir une couleur mâle, ce qui m’a vraiment fait penser qu’il aborderait un jour, avec cette voix si bien calibrée et si solide, des rôles comme Lohengrin (pensons à des carrières à la Gösta Winbergh, qui fut un splendide Tamino et qui finit par aborder Lohengrin). Une seule petite réserve, dans la première partie notamment, le chant est un peu monotone, la capacité à colorer les mots peu exploitée encore. Il reste que pour moi, un ténor est né, et un ténor d’un type dont nous n’avons pas d’exemple actuellement dans les artistes français. S’il est prudent, j’y crois vraiment ; attendons son Belmonte qui devrait particulièrement lui convenir.
Tamino et Pamina © Pascal Victor/ArtcomArt
La Pamina de Mari Eriksmoen est aussi particulièrement intéressante. Quelques problèmes dans le medium au départ, peut-être un Ach ich fühl’s insuffisamment allégé, mais non moins émouvant, mais une vraie présence vocale, des aigus sûrs, dominés, un timbre clair, une voix bien projetée, peut-être une des meilleures Pamina entendues ces dernières années, qui devrait néanmoins pour faire aussi bien que Julia Kleiter, alléger et travailler un peu l’interprétation et l’expression de la fragilité. Et sa voix s’alliait avec bonheur à celle de Stanislas de Barbeyrac. L’un et l’autre appellent peu de réserves.
Même si l’ensemble de la distribution fonctionne bien, les autres protagonistes n’ont pas montré des qualités vocales totalement maîtrisées, à commencer, et c’est une déception, par Christoph Fischesser, que j’ai aimé à chaque fois que je l’ai entendu, dans Mozart, dans Beethoven, dans Wagner, mais qui manque ici d’assise vocale. Un Sarastro, c’est d’abord un grave sonore, qu’il n’a pas, ou du moins qu’il n’avait pas ce soir là. Belle diction en revanche, et impressionnant dans le parlato : on lui demandait plus.
La Reine de la Nuit d’Olga Pudova a en revanche les aigus, dont le fameux contre fa qui sort avec franchise et netteté, et qui est même tenu. Elle a aussi les piqués de Der Hölle Rache et les agilités : elle triomphe donc par le feu d’artifice. En revanche il lui manque le medium et un peu de grave : il est vrai qu’elle chante souvent en fond de scène et que cela ne la sert pas, pas plus que chanter en fauteuil roulant ou avec une canne. Pourtant, la voix est large, elle n’est pas une voix de rossignol, et c’est heureux pour ce rôle.
En suivant Papageno...© Pascal Victor/ArtcomArt
Le Papageno de Thomas Oliemans est vraiment magnifique d’humanité et de tendresse en scène, il est le personnage, sans excès, sans simagrées, dans sa simplicité première, et dans son naturel. Il chante avec le même naturel, sans jamais faire de manières. Mais malheureusement son émission est trop engorgée, il chante tout en arrière et l’ensemble manque de projection et de présence vocale. La voix a des difficultés à sortir. C’est pour moi une question de pure technique, car du point de vue de l’intelligence du personnage, c’est rafraichissant et juste.
Le Monostatos d’Andreas Conrad m’a fait penser au Mime excellent qu’il est. J’apprécie son émission naturelle, son refus des artifices des ténors de caractère, sa diction impeccable, sa clarté dans l’expression et son art de la modulation. Voilà un interprète. Maarten Koningsberger est un bon Sprecher, bien sonore, avec une voix solide et très musicale pour un rôle confié souvent à des gloires du passé (j’ai entendu Hans Hotter là dedans…).
Les trois enfants venus de la Chorkademie de Dortmund étaient vraiment magnifiques, et même stupéfiants par la diction, même s’ils étaient grimés en morts vivants, comme des enfants de cette Reine de la Nuit diminuée, comme des émissaires d’un monde de trolls . Les trois Dames en revanche ne m’ont pas laissé une impression indélébile (Ana-Maria Labin, Silvia de la Muela, Claudia Hückle) avec des problèmes d’ensemble et quelques fautes de mesures.
Et juste un petit mot pour Regula Mühlemann, une Papagena très fraîche, et qui me ravit à chaque fois que je l’entends. J’espère la prochaine fois dans un rôle moins épisodique.
Le public était heureux et a fait un triomphe. Un beau moment d’opéra, parfait pour un festival, car c’était la fête pour les spectateurs. Mais ce n’était pas un miracle : les réussites absolues de la Flûte enchantée sont très rares. Pour que l'enchantement devienne miracle, il faut une touche de divin. Il faudra attendre un peu.
Mari Eriksmoen © Pascal Victor/Artcomart