Les Eurocks 2014 m'ont rendue moins connasse

Publié le 15 juillet 2014 par Teazine

Il s'est passé un truc assez incroyable aux Eurockéennes de cette année, début juillet. Si vous avez lu notre dernier article, vous l'avez peut-être remarqué. Je suis devenue plus tolérante. J'ai même carrément fait une sorte de coming out mainstream. Je suis sortie du placard et je me suis avoué à moi-même (ce qui était plus dur que de l'admettre à de tierces personnes) qu'en fait, j'aime bien aussi la musique populaire, d'aujourd'hui, parfois. 
Quiconque me connaît un minimum sait que je suis une connasse intolérante en matière de sons, une nazie de la musique en quelque sorte. Ça s'est développé au lycée, voire même au collège, où je refusais d'écouter la même chose que mes petits camarades. J'ai, progressivement, décidé que ce qui était populaire, qui passait à la radio, au Super U, chez ma coiffeuse, aux fêtes de fin d'année ou dans de grandes salles de spectacles, c'était de la merde. Evidemment, à l'époque, à Angers, c'était facile de trouver des groupes que personne ne connaissait. On pouvait se sentir exceptionnel rien que parce qu'on écoutait Radiohead. Au fur et à mesure, j'ai déménagé, rencontré des gens plus pointus, et c'est devenu un peu plus difficile. J'en suis arrivée à un point où les Black Lips étaient trop gros (et leurs derniers albums sont pas terribles, ça joue aussi). J'ai rencontré d'autres nazis de la musique encore pires que moi, et j'ai été prise dans une infernale spirale où tout ce qui plaisait à un grand nombre était forcément à éviter. Seuls les tubes vieux depuis au moins 25 ans pouvaient exemptés de reproches. Et puis, il faut avouer que cette posture a quelque chose d'aussi malsain que plaisant, c'est tellement plus facile de cracher sur tout plutôt que de dépenser ses efforts pour défendre quelque chose que l'on aime. 
Du coup, chaque année, aux Eurockéennes, j'évitais régulièrement la Grande Scène (sauf quand il y avait Blur, Phoenix ou des choses du genre, quand même). Et si j'allais parfois voir de jeunes groupes faisant le "buzz", plébiscités par les médias musicaux français depuis des mois, c'était le plus souvent pour avoir davantage d'armes pour écrire ensuite une critique acide contre eux. Ah, sacrée connasse. Depuis un ou deux ans cependant, je constatais un changement, un lent glissement. Sans renier les musiques obscures et souterraines que je chéris d'amour, j'ai commencé à écouter, en douce ou ivre en soirée, des gros tubes de radio, Rihanna ou Beyonce, mais ça, ça reste encore facile à assumer. 
Ce qu'il s'est passé le premier weekend de juillet à Belfort, ça, c'était quand même un sacré pas. Ça a commencé dès le vendredi soir, avec Stromae. Oui, Stromae. J'avais envie d'aller à son concert, en partie parce que, après deux ans de vie à Bruxelles, j'ai décidé d'être belge. Et puis j'aime bien ce gars, il a une bonne tête, et malgré moi je connaissais tout son album. Et son concert, ben c'était chouette, vraiment, c'est d'ailleurs le seul moment où je me suis vraiment amusée de toute la journée. Le public était sympa, on partageait nos boissons, on chantait à tue tête, on souriait... J'en ai même oublié la pluie. En quittant la grande scène, je me suis dit merde, je venais d'assister à mon meilleur concert de la soirée, et c'était celui du mec qui caracole en tête des classements depuis des mois, qui passe sur toutes les radios, que même ma mère connait. Tout ceci était complètement incompatible avec mon statut de connasse. Je ne pouvais pas aimer Stromae. Et pourtant. J'avais ses morceaux coincés dans le crâne tellement ils sont efficaces. Et je ne m'en plaignais pas vraiment, ça me donnait plus envie de danser qu'autre chose. 
Mais le coup fatal a été porté dimanche, quand je suis allée, totalement par curiosité, voir quelques minutes du set de Fauve. Fauve, à savoir le groupe dont tout le monde parlait l'année dernière, tellement que j'avais décidé que tout ce foin ne valait pas la peine, je me foutais de ces Français, avant même d'avoir écouté. J'avais d'ailleurs lu, non sans plaisir, des chroniques de journalistes qui les démontait gratuitement, j'avais trouvé ça très drôle et divertissant. Oh, aujourd'hui, je ne fais plus la maligne. Je ne suis restée qu'un quart d'heure devant la Greenroom pour leur concert, mais ça m'a suffit pour changer d'avis et décider qu'il fallait que j'arrête, que j'arrête de critiquer juste pour le plaisir de me moquer de quelque chose qu'au final je connais à peine. Leur musique n'est pas folle, loin de là, mais elle touche à un truc, je sais pas, ça marche. Ça marche dans ma tête de petite meuf un peu pessimiste, ça colle avec l'humeur de pas mal de jeunes aujourd'hui. Et puis surtout, comment leur cracher dessus, bien planqué derrière un écran d'ordinateur, quand on les voit, sur scène, tellement heureux d'être là, à partager un truc, à être spontanés ? J'ai mis un peu de temps à réussir à l'admettre à moi-même, mais maintenant, c'est fait. Putain, j'ai bien aimé le concert de Fauve, qu'est ce que vont penser mes camarades nazis de la musique ? 
Hé bien qu'ils aillent se faire foutre. J'ai décidé que je ne voulais plus faire partie de leur bande de gens certes séduisants, mais vils poseurs. Je suis désormais une paria, partagée entre mes habitudes, mes idées parfois très arrêtées sur ce qui est bon et mauvais, et ma soudaine ouverture d'esprit. Oui, les Eurocks m'ont ouverte, et rien que pour ça, ça valait le coup d'y aller. C'est comme si j'avais grandi. C'est vrai quoi, pour qui se prend-on à rejeter en masse des artistes sous prétexte qu'ils font de la musique grand public ? Tant qu'ils restent sincères, honnêtes, un minimum créatifs et prompts au partage avec le public, de quel droit pouvons nous les critiquer, les juger de façon lapidaire sans avoir ne serait-ce que pris la peine d'en écouter plus, d'en savoir plus, et sans même leur donner la possibilité de faire appel ? Pour moi, ils vaudront toujours plus que les mecs là uniquement pour se faire de la thune, pour poser, ou tout simplement "trop cools" pour accepter que la plèbe puisse accéder à leur musique... Bon, j'ai conscience de donner l'impression de tenir le discours d'une bouffeuse de quinoa qui est frustrée de n'avoir pas trouvé le sarouel de ses rêves en soldes, ok. Mais ce serait peut-être pas mal des fois qu'on essaie de ne pas juger tout de suite. Qu'on prenne du recul. En tout cas je sais que pour ma part, ce serait une bonne chose. Je sais que je resterai une conasse pour beaucoup de choses, genre, le ska et les musiques festives, mais pour le reste, je vais essayer. C'est assez sympa en fait, d'être un peu plus tolérante. Merci les Eurocks, sans rancune les nazis de la musique.