Contador quitte le Tour...
Depuis La Planche des Belles Filles (Haute-Saône).Si le Tour reste l’une des plus belles conquêtes du journalisme en exaltation avancé, le droit canon de la bicyclette, qui invite à tutoyer les Anges ou les Diables selon les circonstances, exige de se plier à ses commandements. Parmi ceux imposés par les dieux du vélo, qui sont Français cela va sans dire, il en est deux auxquels les coureurs devaient sacrifier, hier, entre Mulhouse et la Planche des Belles Filles (161,5 km). Celui de savoir se mouiller pour exister. Et surtout celui de rester en selle. Foutues pluies et averses, qui depuis Leeds transforment les routes de la Grande Boucle en détrempe quotidienne, octroyant aux suiveurs, à leur corps défendant bien sûr, leur brevet de commentateurs de drames en cascade. L’événement du jour fut donc une chute fatale. Pas n’importe laquelle. Celle d’Alberto Contador (Tinkoff), prétendant à la succession depuis le départ contraint de Chris Froome. Sur l’asphalte humide, au 64e kilomètre, l’Espagnol s’était laissé embarquer dans le fracas, très brutalement, laissant sous lui un vélo brisé en deux et un cri de douleur pour nous inaudible. Le double vainqueur du Tour repartait dans une course-poursuite improbable, comme il le pouvait, après de longues minutes à l’arrêt et loin de l’arrivée, genou droit ouvert, sanguinolent et bandé, dos abîmé, cuissard déchiré. En chasseur de l’inutile, les délinéaments de ses membres s’articulaient si maladroitement désormais à sa nouvelle machine qu’il semblait peser des tonnes. Contador était alors rendu à ce moment de la vie où toutes les attentions se chargent d’un sens plus lourd et plus complexe : l’inquiétude. Pour cause. Il était 16 heures et l’Espagnol allait rejoindre dans l’histoire de cette Grande Boucle le destin de Froome. Il s’arrêtait sur le bas-côté, ôtait son casque, essuyait furtivement quelques larmes, puis, claudiquant, prenait place dans une voiture de son équipe. C’était l’abandon. Nouveau coup de tonnerre sur un Tour décidément fou, cette année. Comme si sa dimension cruelle prenait des attitudes outrageantes.
Le temps de latence du peloton, toujours dû aux leaders à terre, ne dura pas. Ce fut donc sous la menace permanente des éléments déchaînés, le tout sous un ciel bas et noir à faire peur, que le peloton traversa ce que certains considéraient comme « l’étape reine ». Pensez donc. La redoutable ascension finale menant les coureurs à La Planche (1recat., 6 km à 8,5%, 20% sur les 270 derniers mètres !) était précédée de six cols, dont celui des Chevrères (1re cat.), un inédit placé à 18 kilomètres du but et appelé à durcir considérablement le final. Si le (chroni)coeur n’y était plus, la bagarre, dans l’ascension de La Planche, fut néanmoins terrible aux rescapés. Le Français Tony Gallopin (Lotto) concédait son beau maillot jaune à Vincenzo Nibali (Astana), qui, lui, retrouvait son bien. L’Italien, dépouillé désormais de son principal adversaire à la victoire finale, avait placé une attaque rageuse et remporté l’étape. Un coup double tonitruant qui nous rappelle que les vainqueurs doivent conserver l’empreinte, et les vaincus pleurer leur drame. [ARTICLE publié dans l'Humanité du 15 juillet 2014.]