C’est une héroïne qui se tient loin de la perfection. Autant ses qualités sont prononcées, autant ses défauts le sont, et cet équilibre confère de la force à son caractère. Maggie est un personnage d’autant plus fort que plausible. Bref, cette histoire en trois tomes, c’est Maggie qui la fait, la balance, l’Histoire de la Beauce en ce début de 19e siècle n’a qu’à bien se tenir.
Le lecteur est convié à St-Benjamin, petit village où se côtoient catholiques et protestants dans une indifférence respectueuse, jusqu’à ce qu’un curé rigide, fourbe et ambitieux s’en mêle. Mauvais départ pour Maggie cet enfant unique, son père absent physiquement, sa mère absente psychologiquement, l'oblige à s’élèver pratiquement seule. Elle est rapidement poussée à se dépasser, devenant maîtresse d’école à l’âge de 15 ans.
À partir du moment où elle enseigne et que le curé devient son ennemi juré, j’ai embarqué à pieds joints. Le village en entier joue sur la scène où les protestants de Cumberland Mills deviennent progressivement des pestiférés aux yeux des catholiques. Le village ne sert pas que de décor, j'ai même pensé à Sainte-Adèle des Belles histoires des pays d’en haut. Le curé, le magasin général, les polissons, les pauvres, les poltrons, le maire (le pouvoir sur deux pattes !) deviennent progressivement de vieilles connaissances du lecteur. Ces personnages hauts en couleur mettent en valeur Maggie, en la prenant en grippe par exemple, comme c'était le cas pour Séraphin. Mais là s’arrête la comparaison. Maggie ne posséde pas le pouvoir de l’argent mais un autre, celui de sa beauté insolente doublée d'une audace la portant à se sentir égale à l’homme, en ces temps où la femme est une servante de l’homme.
Par elle, les forces du mal passeront ! Elle est diablement belle et ignore tout de l’adage « Sois belle et tais-toi ». À certains moments, j’ai eu le goût de la sermonner, bref, d’être la mère qu’elle n’a pas eue. Lorsqu'elle a une idée en tête, elle fonce, même si elle défonce des murs de préjugés, des réputations ou même sa propre personne. Il n’y a pas que les autres qui peuvent lui faire du tort, elle est très bien capable de s’en faire d'elle-même !
Heureusement, elle a une tante et un oncle qui l’aiment. Surtout sa tante qui doit l’aimer en pas pour rire, pour passer outre les frasques de sa rebelle. Cette avant-gardiste à tous les niveaux, ne comprend pas le concept du péché et se demande qu’est-ce que la religion apporte dans la vie. En 1914, un tel état d’esprit est révolutionnaire, surtout quand on fait l’erreur de se marier avec la mauvaise personne.
Pour qu’une histoire soit palpitante, il faut que des courants contraires s’affrontent et qu’on ne sache pas d’avance qui va gagner. On a ce qu’il faut ici, le méchant par excellence étant le curé que l’on finit par ne même plus aimer détester. C’est à peu près le seul personnage qui frôle la caricature.
On oublie totalement que cette fiction est documentée*, le style allant droit à son but ; l’amour des personnages. Les oiseaux butinent de branche en branche pour écornifler, déposés en petites tâches de couleurs sur le paysage humain. La nature est savante mais se fait discrète (fleurs, oiseaux, végétations), je ne l’ai jamais perçue décorative, plutôt en fusion avec la nature humaine. Et pour ne rien gâter, les nombreux dialogues coulent de source. En définitive, du talent, ce monsieur.
* Daniel Lessard est natif de St-Benjamin et son grand-père y a été maire et juge de paix. Ce dernier aurait laissé des documents et, bien évidemment que la formation de journaliste de l’auteur a dû le pousser à approfondir le sujet.
*** Daniel Lessard est attendu aux Correspondances d'Eastman, au Café littéraire "Le roman historique et l'épopée identitaire", le samedi 9 août à 10 h 00.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Lessard