Chaque année c’est la même chose: les grandes chaînes nationales consacrent leur matinée au défié du 14 juillet. De superbes images de troupes marchant au pas, descendant la célèbre avenue pour aller saluer le chef de l’état et les membres du gouvernement, confortablement installés sur la place de la Concorde. Tout le monde ou presque a déjà vu cette cérémonie sur son écran de télévision, le plus souvent pour de courts instants – car cela n’a rien de très passionnant. D’autres se sont déjà rendus sur “les champs”, pour vivre cet événement en grandeur nature. Mais rares sont ceux qui l’ont déjà vécu de l’intérieur. L’école Polytechnique offre ce privilège: de mon temps – mais les choses ont peut-être changé – on défilait entre la 2e et la 3e année. A quoi ressemble un tel moment? Que ressent-on? Comment cela se déroule-t-il? Voici les souvenirs que j’en ai gardé, 28 ans après.
Les préparatifs
Tout d’abord, il y a les préparatifs: un défilé, cela ne s’improvise pas. Deux carrés de 12 rangées de 12 polytechniciens, soit 288 élèves, à mener au pas, ce n’est pas si évident. La semaine qui précède est donc, si je me souviens bien, partiellement consacrée aux répétitions. A mon époque, elles se déroulaient sur une route du camp de Satory, qui reproduit les Champs Elysées dans leur longueur.
Marcher au pas sur une telle avenue pose de multiples problèmes.
- Le premier, c’est que l’on marche au pas, au son d’airs militaires (la Galette, si je ne m’abuse). Or le son ne se propage pas si vite que cela, et le “boum” qui marque le pas de la première rangée est en léger décalage avec le pas de la dernière rangée, 23 rangs plus loin.
- Le second, c’est que l’organisation militaire veut que les formations respectent les règles suivantes: les plus grands gabarits marchent devant, les plus petits derrière. Ce qui signifie que les rangs du fond cavalent pour respecter le pas des premiers rangs… ou presque, car les premiers rangs sont heureusement réservés aux éléments féminins, qui ne sont pas forcément les plus grands. Bref, marcher au pas dans de telles conditions d’inhomogénéité relève parfois du défi.
Le grand jour
Le grand jour arrive, et il faut amener tout ce petit monde – les X, mais aussi toutes les troupes invitées à défiler – sur les Champs, avant que le Président de la République ne passe l’ensemble des unités en revue. Ce qui signifie qu’on se lève à 3 heures du matin pour avaler un petit déjeuner rapide, prendre le car, arriver au petit matin sur l’avenue des Champs Elysées à hauteur de la Pizza Pino, et attendre…
En 1986, année de mon défilé, il faisait particulièrement frisquet à 3h du matin, et le grand U passé sur la chemise réglementaire ne permettait pas de se réchauffer. A l’inverse, un soleil radieux brilla dès le milieu de la matinée, nous faisant suffoquer sous nos uniformes (résultat des courses: une angine carabinée à la fin de la journée, alors que j’avais invité un paquet d’amis pour fêter mes vingt ans le soir même: fiasco total).
Le défilé lui-même ne commence qu’après que le chef de l’état et le gouvernement eut pris place sur l’emplacement qui leur est réservé. A mon époque, première cohabitation oblige, ce furent François Mitterrand et Jacques Chirac qui se tenaient debout au bout de l’avenue pour observer le défilé sous son meilleur angle.
Une fois ces messieurs-dames installés, le cortège peut donc s’ébranler, et marcher au pas direction la Concorde, où les deux pelotons se scinderont en deux, l’un allant vers l’Opéra tandis que l’autre se dirige vers le Bd Saint-Germain, pour se disperser et rentrer en car. Marcher de la Pizza Pino jusqu’à la Concorde, ce n’est pas très long, une vingtaine de minutes tout au plus. Mais une vingtaine de minutes passionnantes, où l’on doit slalomer entre les défécations des chevaux de la Garde Nationale, car c’est là le grand secret du défilé: les X marchent en tête du défilé, juste derrière la légion étrangère. Avant eux, seul le Président a pu arpenter les lieux, en véhicule militaire, entouré par une soixantaine de cavaliers sur leur monture. Et un cheval, si vous ne le savez pas encore, ça chie, abondamment, et même quand ça marche. Voilà donc le principal souvenir que je garde de ce moment particulier: vingt minutes à essayer de marcher droit, au pas, sans écraser de crottes des chevaux. Surprenant, non?
Ah, j’oubliais. Les X sont des esprits facétieux, et chaque année, ils mettent un point d’orgue à se distinguer des autres unités, par un “gag” conçu pour l’occasion. Cela ne se voit pas toujours à l’écran, mais c’est l’intention qui compte. En 1989, année où Edith Cresson était chef du gouvernement, par exemple, ils arboraient toutes et tous un morceau de cresson… Mon année, si je me souviens bien, nous avions des balles de ping pong qu’il fallait jeter sur l’avenue, histoire d’emmêler le pas des unités qui nous suivaient – les Saint-Cyriens en premier lieu. Résultat nul, l’avenue n’étant point plate, les balles rebondirent vers l’extérieur de la chaussée. Cette rivalité avec Saint-Cyr, qui défile juste derrière l’école Polytechnique, a d’ailleurs donné lieu à un gag particulièrement fin – mais je ne sais s’il est véridique, ou s’il ne s’agit que d’un mythe: une promotion aurait, paraît-il, jeté derrière elle un uniforme de cette belle école militaire, obligeant ainsi ses élèves officiers à piétiner leur propre uniforme. C’est du joli!
Cette année, myTF1 proposait, paraît-il, un dispositif original, permettant de suivre le défilé depuis plusieurs points de vue différents. Je n’ai hélas pas pu le tester, mais si vous en avez goûté, je serais ravi d’avoir votre feedback.