Pourquoi Plonger de Christophe Ono-dit-Biot a-t-il été primé?

Cette 6ème lecture entre dans le Challenge Rentrée Littéraire 2013.
J'ai réussi ce fameux 1% Christophe Ono-Dit-Biot, pour son roman Plonger, a reçu le Grand Prix de l'Académie Française.Quand on pense à ce prix, on imagine une sorte de vieux réac poussiéreux... Cliché, cliché quand tu nous tiens. Non seulement Christophe Ono-Dit-Biot n'est ni vieux ni réac, mais son roman est aussi un chef d’œuvre. J'ai adoré le ton, l'histoire, le style et le joli minois de ce jeune quadragénaire.
Le roman nous plonge (non je n'ai même pas fait exprès de reprendre ce verbe...) d'emblée dans une histoire tragique. Il s'agit d'un récit-témoignage d'un père à son fils suite à la mort de la femme de leur vie. Il lui parle de sa mère pour combler son absence mais aussi pour qu'il sache d'où il vient et quelles sont ses racines. C'est tour à tour une déclaration d'amour à la femme aimée mais aussi une biographie maternelle et surtout un legs d'une profondeur lyrique, un véritable héritage familial et existentiel.

"Il y a des gens qui fuient inutilement la cause de leur douleur. Moi je l'affronte."
César, le père, se met à raconter à Hector, son fils, sa naissance, leur vie passée, leur trio... Le couple Paz-Césarest détonnant: 

• Elle est une artiste-peintre et lui est journaliste/critique.
• Elle aime les rapports humains et sincères, lui est un mondain.
• Elle est de gauche ++, gauche ultra, lui est un capitaliste influencé par la société consumériste qu'il critique mais qui le réconforte. Ils passent leur temps à s'affronter. "On vivait de plus en plus sans amour. Sauf pour nous-mêmes. Les réseaux sociaux nous serinaient le mot "partage", nous faisant croire aux mirages du monde où tout serait mis en commun, alors que c'était le contraire. On ne "partageait" pas ses photos: on se les jetait à la gueule."
  
• Il veut un enfant, elle adopte un requin.
• Il lui jette ses pilules, elle l'exclut de sa grossesse.Ils s'aiment mais d'une façon non conventionnelle"Si on couche ailleurs, si c'est seulement le corps qui parle, c'est bénin, on n'en parle pas à l'autre, ça peut arriver. [...] Et si on tombe amoureux [...] ça signifiera que notre partie est terminée. Coup de sifflet, on se dirige vers les vestiaires, on se douche, on se rhabille, on fait son sac. On ne va pas organiser une réunion au sommet pour élaborer un plan de sauvetage. En période de crise, ça finit toujours par couler."
  

Les récits sur leur histoire d’amour ne sont pas forcément extraordinaires, cependant le ton est cynique parfois cruel mais toujours décapant.
César raconte sa propre histoire qui est pour Hector une préhistoire mais qui lui sera utile pour se construire. Lors de ses adresses au fils, il n'y a plus ni détachement ni cruauté, ni prétention mais une véritable envolée lyrique. Le plus beau cadeau qu'un parent puisse faire à son enfant, c'est le récit de son ascendance, la vérité sur sa famille, un héritage d'une valeur ultime et inestimable.
Mais peut-on tout dire à son enfant? Parfois César est un peu trash dans l'évocation de détails intimes. Au début on pense qu'il s'agit d'une confession intégrale et sans mensonges. Pourtant, César en commet deux ou trois dont il prend soin de rétablir la vérité dans des encarts en italiques qui ne seront pas lus par le fils, juste pour le protéger d'une vérité difficile à entendre et à accepter.
"Je n'avais pas le droit de flancher car je devais te protéger et comme j'aurais donné ma vie pour ça, il était fondamental que je me la conserve, que je lutte. J'ai fermé les yeux, anesthésié peu à peu par le vin et la douleur."
On a un récit rétrospectif qui se fonde sur la rencontre amoureuse entre Paz et César, leurs disputes, leur quotidien. Et puis il y a l'arrivée fortuite d'Hector dont la naissance est racontée d'entrée de jeu et puis il y a le drame: la mort de l'épouse/le décès de la mère. César plonge dans son propre passé, mais il plonge également dans les derniers instants de sa femme: il revêt alors toute la panoplie de l'enquêteur, de l'infiltré.
C'est parfois cru, quelquefois cruel, mais l'histoire nous happe et le style enlevé, intelligent et plein d’esprit de l'auteur nous rend quelque peu dépendants de cette lecture.

Christophe Ono-Dit-Biot sait jouer sur tous les tableaux stylistiques et rhétoriques et c'est à coup sûr l'angle de vue, les références culturelles et la richesse de l'expression qui pallient un peu à l'histoire convenue et banale.

Plonger... drôle de titre.C'est PLONGER dans le passé.
C'est PLONGER dans les verres d'alcool.
C'est PLONGER avec les requins -au sens figuré comme au sens propre.
PLONGER dans le but de retrouver les vestiges d'une vie brisée.

Un roman résolument moderne placé sous l'égide de l'Antiquité.De bout en bout, on a des références mythologiques gréco-romaines, bibliques qui font écho à l'expérience de César. On trouvera les Gorgones, l'Iliade avec un personnage central Hector, l'histoire de Jonas dans le ventre de la baleine lourd de significations et de symboles ici. On trouvera aussi la référence à Orphée et Eurydice, notamment à travers le titre d'un chapitre "la femme piquée par un serpent". On peut vraiment comparer César à Orphée puisque les deux hommes "plongent" dans les Enfers pour retrouver la femme aimée doublement perdue. César perd sa femme lorsqu'on lui annonce la nouvelle mais il la perd une seconde fois lorsqu'il va reconnaître le corps. Entre ces deux étapes, il y  toujours le doute qui subsiste et ce doute permet justement de ne pas attester véritablement la mort de Paz. Et si c'était une erreur; si ce n'était pas elle; et si elle n'était pas morte.
J'ai aimé ce roman:

• Pour le style.
• Pour les références à l'Antiquité Grecque que j'affectionne.
• Pour la construction moderne du roman.
• Pour le lyrisme percutant.

Ce Grand Prix de l'Académie Française pour ce roman est largement mérité. Celui de 2014 a du souci à se faire pour se hisser aussi haut que Monsieur Ono-Dit-Biot.