Lorin Maazel (1930-2014)
2014 n'est pas une année sympathique pour les chefs.
Lorin Maazel vient de mourir à Castleton aux USA, au Festival qu’il avait créé, des suites de complications consécutives à une pneumonie, alors qu’il venait de renoncer d’y diriger Madama Butterfly et qu’il était programmé l’an prochain dans de nombreux théâtres.
Ce n’était pas un de mes chefs préférés, je n’allais pas à ses concerts mais dans mon Panthéon des chefs, il a une place à part : c’est lui qui m’a fait découvrir, approfondir, apprécier Pelléas et Mélisande de Debussy lorsqu’il l’a dirigé dans la mise en scène de Lavelli à l’Opéra de Paris en 1978 ou 1979. C’est dire l’importance de cette découverte.
À l’époque, tout à Wagner, Mozart et Verdi, je n’arrivais pas à entrer dans l’univers de Debussy. Sa direction claire, cristalline, passionnée, tellement fouillée, m’a fait subitement entrer par surprise dans le monde étrange de l’œuvre de Maeterlinck et Debussy. Il est vrai que cette direction s’accordait merveilleusement avec la mise en scène de Lavelli qui n’a jamais été reprise (encore une absurdité bien parisienne) et qui était un très grand travail, plein de poésie et d’émotion.
Lorin Maazel, c’est aussi lui (et je l’écrivais d’ailleurs il y a quelques jours à propos de Manon Lescaut) qui m’a fait entrer dans les partitions pucciniennes. Et notamment Manon Lescaut et La Fanciulla del West. C’est le seul chef (dans mon parcours) qui ait réussi à me montrer la profondeur et la complexité d’une partition de Puccini, et m’ouvrir des perspectives et des ponts avec d’autres univers auxquels on n’associe pas Puccini, comme l’École de Vienne. Puccini a ce caractère particulier qu’il peut souvent être dirigé sans dommage majeur par un chef médiocre (ils sont légion pour Puccini), car c’est un mélodiste hors pair et l’on peut diriger cela superficiellement, en s’attachant simplement à mettre en valeur les mélodies qu’on enduit de sirop mielleux. Pas de ça chez Maazel : son Puccini est profond. Tous ses enregistrements pucciniens sont dignes d’intérêt (son Trittico ! sa Turandot fulgurante entendue à Vienne! ). Par ailleurs je l’ai entendu souvent à l’opéra, dans Wagner (Tristan), dans Strauss (Elektra) et j’avoue que sans me bouleverser, son travail était remarquablement en place et juste. Ces dernières années, il était de bon ton de le vouer à l’index des chefs, pour toutes sortes de raisons, mais c’est injuste, comme tout parti pris excessif de mélomanes idéologues, même si certaines de ses déclarations ou prises de position n'étaient pas toujours sympathiques. Il a été aussi le chef d'enregistrements qui ont eu un succès mondial, comme sa Carmen (bande du film de Francesco Rosi) et il ne faut point oublier qu'il est le chef du film Don Giovanni de Joseph Losey, là où on ne l'attendait pas...
Je voudrais rappeler qu’il était souvent considéré par les orchestres comme un des chefs les plus sûrs, une sorte d’autoroute technique que les musiciens suivaient avec une totale confiance tant son geste était lisible et précis. Une anecdote qui le confirme pour finir: Rolf Liebermann raconte dans ses souvenirs que lors de la tournée de l’Opéra de Paris en 1976 aux USA à l’occasion des fêtes du bicentenaire de la déclaration d’indépendance, Sir Georg Solti qui devait diriger Otello s’était blessé avec sa baguette en dirigeant Le Nozze di Figaro. Maazel était disponible. Il accepta de le remplacer dans Otello au pied levé car avec Solti il avait la garantie que l’orchestre avait été bien préparé . Mais il demanda que rien ne fût communiqué et arriva sur le podium comme par surprise…Et ce fut un triomphe.
Maazel, c’était aussi cela .
C’est pour ces raisons très liées à mon parcours personnel que je l’ai toujours respecté et qu’aujourd’hui, au-delà des nécrologies convenues, je tiens à lui témoigner ma reconnaissance.