Magazine Politique
Nicolas Sarkozy a eu un entretien avec l’écrivain français Jean-Marie Rouart sur la littérature, l’histoire et le pouvoir. Ce texte, publié dans le magazine Paris-Match du 10-16 juillet 2014, traite, inévitablement, de politique, même si ce sujet n’était pas le sujet de la conversation. Il est fort intéressant et démontre un aspect important de l’homme politique. Voici quelques extraits des dires de l’ex-président français sur la politique et sur ce qui la touche :
« L’avantage avec la littérature c’est que ce n’est pas de l’ordre de la décision, mais de l’ordre de l’émotion… c’est l’histoire d’une vie et d’une permanence… elle n’est pas dans l’actualité.
Tout dans la vie est une question de partage. On a l’habitude dans la politique de parler du partage des revenus, du partage des responsabilités. Mois, au fond, ce que j’aime le plus c’est le partage des émotions. C’est le plus important. C’est ce qui est éternel. C’est ce qui ne change jamais.
Être journaliste est un métier magnifique. Parfois je me demande si tous ceux qui l’exercent ont gardé la même curiosité et le même appétit d’expliquer. Je pense que le journalisme doit être d’abord dans l’explication. Aujourd’hui il est trop systématiquement dans la démonstration.
…le pouvoir est un symptôme. C’est une conséquence. Ce n’est pas une fin. L’homme est brûlé par ses passions, et parfois il les place dans le pouvoir. Mais le pouvoir n’est qu’une conséquence d’un état incandescent et passionné.
…l’analyse froide, insensible d’un document dit parfois moins que le caractère chirurgical du romancier qui va plonger dans la tête et dans le cœur du personnage qu’il décrit.
Je conteste cette expression des « horreurs de la politique ». Je ne suis pas quelqu’un qui crache dans la soupe. …Il n’y a pas d’horreurs de la politique. Il y a la difficulté de la vie. La seule chose qui est vraie, c’est que la vie est dure, difficile, et qu’au fond c’est un coup de chance quand on est en bonne santé. C’est un miracle quand on n’a pas d’ennuis… Et d’ailleurs les ennuis n’arrivent jamais par d’où on les attend. Ce n’est pas la politique qui est dure, c’est la vie.
Franchement, la politique c’est une grande aventure humaine et je n’arrive pas à me limiter chez un homme à la seule description des actes et des évènements. Je m’intéresse plus à ce qu’il y a derrière.
Les onze années que le général de Gaulle passe à Colombey entre 1947 et 1958, sa psychologie, ses moments de doute, de désespoir, d’espérance, les trahisons qu’il subit, tout cela m’intéresse. Et le général de Gaulle, lâché par tout le monde en 1968, qui joue son va-tout en 1969 !
Il faut juger Napoléon…dans la continuité de l’Histoire de la France. De la monarchie à la IIIe république, il y a une logique : trop de stabilité avec les rois, trop d’instabilité avec la révolution et trop d’autorité avec l’empereur. Il a fallu toutes ces étapes pour arriver à la démocratie. …la Révolution française…a commencé avec les intellectuels et a fini avec les brutes. Napoléon est né de cela. L’empereur est le produit du chaos révolutionnaire. …Je pense à la collaboration et à Pétain. Il y a un continuum. Notre pays est fait de tout cela.
… la littérature, le cinéma, la peinture, l’art n’entrent pas dans l’ordre de l’exploitation politicienne. Je n’ai pas eu envie, dans le cadre du combat politique qui était le mien de me servir de la culture comme objet de communication. …alors que j’étais entouré de tant de souffrances et d’angoisses des Français, j’étais gêné à l’idée…de passer une minute… à disserter sur des sujets littéraires. Le président à mieux à faire que de commenter le football ou de parler de ses lectures.
Il y a trois choses consubstantielles à l’âme humaine : …la famille; ce que l’homme fait depuis l’origine : il prie…; …la création artistique.
…le rôle du créateur n’est pas un rôle politique. C’est une fonction de la transcendance. La seule chose qui restera de nos époques, c’est ce qu’on aura créé: l’art.
…Droite ou gauche, dans la littérature cela ne veut rien dire.
Il y a une fascination des hommes d’État pour les artistes et les écrivains. …l’homme d’État est au rythme de la démocratie, l’artiste tutoie l’éternité. C’est la grande inégalité entre eux.
Je suis résolument contre l’aplatissement du monde : une seule langue, une seule tradition. Je veux dire à ceux qui ne croient pas dans la pensée française, que le jour où ils n’auront plus de pensée, plus d’identité, qu'est-ce qu’ils auront à partager?
…quand on voit le cortège des cathédrales et des églises, comment peut-on contester nos origines ? La France n’est pas chrétienne, mais ses racines sont chrétiennes. Ce fut une erreur de ne pas parler des racines chrétiennes de l’Europe.
Je n’ai aucun obstacle à lire et à admirer des écrivains dont je ne partage pas les opinions. … Que Sartre ait des combats politiques très éloignés des miens, cela ne m’empêche pas de dire que c’est un géant quand il écrit.
Une passion vous consume à jamais. .. passion pour son pays, passion de convaincre… passion de partager. La question n’est pas de savoir si cette passion vous quitte, mais comment vous la vivez. C’est toute la question de l’âge. Accepter son âge, c’est d’être moins bon dans certains domaines, et de s’améliorer dans d’autres. La passion, c’est la même chose. Elle ne vous quitte pas, mais il faut pouvoir la vivre d’une autre façon ».
Les liens que les grands responsables politiques entretiennent avec la littérature, à travers les livres qu’ils ont lus ou lisent, livrent une vérité souvent plus large que leurs discours politiques.
En terminant son entrevue, Nicolas Sarkozy résume son entretien avec Jean-Marie Rouart « L’amour et l’art sont les deux seuls domaines où il n’y a pas de progrès ». Et la politique ?
Claude Dupras