Tyrant est une nouvelle série de 10 épisodes diffusée sur les ondes de FX aux États-Unis depuis la fin juin. Depuis 19 ans, Bassam Al Fayeed (Adam Rayner) travaille en tant que pédiatre à Los Angeles avec sa femme Molly (Jennifer Finnigan) et ses deux enfants Sammy (Noah Silver) et Emma (Ann Winters). Originaire du pays arabe fictif Abbudin, son père Khaled (Nasser Faris) en est le président ou plutôt le dictateur. Aux premières loges des violences de la guerre dont son patriarche est probablement le premier responsable, il n’a jamais remis les pieds dans ce pays jusqu’à ce qu’il reçoive une invitation pour assister au mariage de son neveu. Avec sa famille, il s’envole donc vers le Moyen-Orient, mais rendu sur place, une foule de mauvais souvenirs refont surface et l’angoise le gagne alors qu’il réalise qu’il ne pourrait bientôt plus quitter sa terre natale. Création de Gideon Raff et Howard Gordon, tous deux à l’origine de Homeland, Tyrant excelle davantage dans son volet saga familiale que lorsqu’elle se veut plus politique. Cependant, seul le fait de mettre en scène l’action dans un pays musulman, une dictature par surcroit, équivaut à marcher constamment sur des œufs. La série en écrase plus d’un et les critiques du monde entier fusent. Est-ce une mauvaise création pour autant? Non.
Luxe et terrorisme
C’est donc à contrecœur que Bassam accepte de revenir au pays de son enfance, et pour cause. Tout au long des épisodes on nous montre des flashbacks de lui plus jeune, alors que la population était aux prises avec une guerre civile. Même son père Khaled en tant que chef de l’armée a assassiné des hommes devant ses yeux. Arrivé à Abbudin, on fait la connaissance notamment de son frère ainé Jamal (Ashraf Barhom). Machiste de la pire espèce, il a plusieurs maitresses qu’il traite comme du bétail, boit beaucoup trop et se montre d’une inquiétante intransigeance à l’égard de tous les ennemis potentiels de sa famille. Au moment où se déroulent les festivités du mariage, Khaled est pris d’un malaise et décède quelques heures plus tard. Puis, Jamal est victime d’un attentat fomenté par sa maitresse et qui le laisse entre la vie et la mort. Au même moment, Bassam et sa famille sont dans un avion qui est sur le point de les ramener aux États-Unis, mais juste avant le décollage, les militaires viennent « réquisitionner » le frère cadet.
Il est rare que des séries américaines se déroulent dans leur entièreté dans un pays étranger et force est d’admettre que le pilote, réalisé par David Yates est envoûtant avec sa trame sonore et toutes ses prises de vue mettant en valeur l’immense fortune des Al Fayeed. Comme s’exclame Sammy en entrant dans le palais familial : «it’s paradise!» Mais on se doute bien que tout ce luxe peut disparaitre en un rien de temps si la famille se révèle incapable de maintenir son autorité sur le peuple. Mis à part le personnage de Jamal, carricature et vilain à l’extrême, certaines intrigues se révèlent prometteuses sur le long terme, notamment Sammy qui flirte avec Abdul (Mehdi Dehbi), un ami de longue date de la famille et Leila, kidnappée par des terroristes d’à peine 14 ans lors du deuxième épisode, qui affiche de faux airs de dévotion envers son mari Jamal. John Tucker (Justin Kirk) est un diplomate américain qui nous offre une autre image des relations entre deux pays aux cultures opposées. Sans être nécessairement corrompu, il appuie la dictature des Al Fayeed au nom des États-Unis, sûrement par intérêt stratégique dans le Moyen-Orient. Enfin, il y a Bassam. Il se fait offrir un siège qui lui permet de participer aux grandes décisions de l’État et le voilà qui commence à prendre beaucoup d’ascendant sur son frère, peut-être même un peu trop? Il faut surtout grader en tête un flashback du protagoniste. Enfant, son père demande à Jamal d’exécuter un rebelle, lequel est incapable d’une telle cruauté. C’est Bassam qui à la surprise de tous prend le revolver et tue le condamné. Dès lors, comment savoir à qui se réfère le titre de la série?
La dangereuse représentation des musulmans à l’écran
Homeland nous donne toujours le point de vue des américains qui combattent contre l’extrémisme et les méchants sont souvent réduits à quelques personnages malfaisants. Dans Tyrant, sont-ce les extrémistes qui menacent la vie des dictateurs qu’il faut haïr ou l’inverse? La nouvelle série de FX a cette particularité de ne pas nous offrir une réponse claire à ce sujet. On pourrait argumenter que Bassam représente le point de vue américain sur cette société dégénérée, mais le personnage est encore trop opaque pour qu’on puisse en tirer de telles conclusions. Toujours est-il que la série a été décriée par plusieurs pour les clichés « musulmans » qu’elle véhicule : maris violents, femmes soumises, peuple traité comme du bétail, etc.
Dans sa critique, Mary McNamara écrit non sans ironie : « The Geneva Conventions may well have included a clause allowing German, Russian and even British officials to be depicted as uniformly corrupt on American television, but similar representations of Middle Eastern leaders feel much more incendiary, possibly because there are so few Muslim/Arab characters on shows that do not deal with terrorism in one form or another.» En effet, les Anglais sont des êtres sans cœur et vaniteux dans les séries historiques Turn et New Worlds et les Russes, des barbares qui sont en constante quête de revanche dans 24 ou The last ship. Du côté du Mexique, ce sont les barons de la drogue qui s’enrichissent à n’importe quel prix grâce aux cartels de la drogue, que l’on soit dans Gang related ou encore dans The Bridge. À plus petite échelle, les mexicaines ne sont bonnes qu’à faire le ménage, et encore elles sont chanceuses si elles ont des papiers d’immigration réglo comme dans Devious Maids. Les séries américaines n’en sont pas à un cliché près et Tyrant ne devrait pas autant susciter la controverse.
2,1 millions de téléspectateurs ont suivi le pilote, ensuite l’auditoire a baissé à 1,38 lors du second épisode pour ensuite remonter à 1,7, ce qui n’est pas mal, surtout en période estivale. Tyrant est loin d’être parfaite, mais contient assez d’éléments accrocheurs pour donner envie de suivre quelques diffusions supplémentaires. Il faut aussi saluer FX qui sort constamment des sentiers battus en nous proposant des œuvres aussi originales que variées, de Nip/tuck à Louie, en passant par American horror history jusqu’à l’excellente Fargo en avril dernier.