Tu le retrouves au bord de la route
et tu l’enterres.
ça te fait de la peine.
ça te fait de la peine personnellement,
et ça te fait aussi de la peine pour ta fille
parce que c’était son chien
et qu’elle l’aimait tant.
Elle lui roucoulait des mots tendres
et le laissait dormir dans son lit.
Tu écris un poème là-dessus.
Tu l’intitules Poème pour ma fille,
à propos du chien écrasé par un camion,
et de la façon dont tu en as pris soin,
l’emportant dans les bois
et l’enterrant profond profond.
Et ce poème se révéla si bon
que tu es presque heureux que le petit chien
se soit fait écraser, car autrement tu n’aurais jamais
écrit ce poème.
Puis tu t’assieds pour écrire
un poème sur la rédaction d’un poème
sur la mort de ce chien,
mais pendant que tu écris tu
entends une femme hurler
ton nom, ton prénom
les deux syllabes,
et ton coeur s’arrête.
Au bout d’une minute, tu continues d’écrire.
Elle hurle encore.
Tu te demandes jusqu’à quand ça va durer.
***
Raymond Carver (1938-1988) – Les feux (Fires, 1983)