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Lors de votre concert de 2011 à Souillac, vous nous aviez parlé d’un projet autour de Monk qui vous enthousiasmait. Alors deux questions : pourquoi Monk et pourquoi le rock’n’roll ?Le rock, parce que je suis d’une génération qui a grandi avec le rock’n’roll et pas avec le jazz. Le jazz, c’est la génération de mon père. Et Monk parce que c’est un compositeur, comme Charlie Parker, qui puise aux mêmes racines comme le rock, qui puise dans le blues : il a alors été évident de combiner ces deux musiques. Et aussi pour faire connaître à ma génération, qui écoute tout le temps de la pop et du rock, un compositeur aussi important que Thelonious Monk.
Nous vous avons entendus sur le projet Malcolm X et également sur le projet Tina Modotti : vous donniez une vie à des personnes qui ont bousculé un tant soit peu l’ordre du monde. Qu’en est-il de Monk’n’roll ? Avec mon quartet je célèbre des figures révolutionnaires comme Tina Modotti et Malcolm X. Monk d’une certaine façon a été révolutionnaire parce qu’il a été unique. Au moment où tout le monde jouait du be bop, comme Charlie Parker, Monk était à part : il jouait lui-même quelque chose qui était complètement particulier et c’est pour ça que je l’ai choisi. Et aussi parce que je l’aime comme compositeur, je crois que c’est un compositeur de première classe.En quoi était-il particulier ?Toute la scène du be bop était basée sur la musique de Charlie Parker et de Dizzie Gillespy. Monk avait un truc très personnel, complètement différent à l’époque et il n’était pas très bien compris. A la fin, il était tellement fort qu’il a été perçu comme un génie et aujourd’hui je pense que c’est vrai.
Chacun de vos projets est un tout cohérent, construit, avec ce qui me paraît une démarche narrative. Narrative dans sa globalité mais pensez-vous que votre musique est narrative, qu’elle raconte ?Oui, moi j’aime raconter des histoires et avec Tina Modotti puis Malcolm X, j’ai raconté des histoires très importantes pour moi et je pense qu’il y a beaucoup de narratif dans ma musique. Dans le cas de Monk, je ne joue pas des compos de moi, je joue des compos de Monk mélangées avec du rock. Alors là du narratif, il n’y en a pas. C’est un autre hommage, c’est un hommage un peu rigolo à la musique de Monk. Il faut écouter le live pour comprendre.
Comment avez-vous composé les morceaux ? comment avez-vous choisi les assemblages ? À l’origine, c’est une idée à moi et j’ai proposé à mes camarades deux ou trois morceaux. Après, les autres, on les a faits tous ensemble parce que Giovanni (Falzone) et Danilo (Gallo) et Zeno (de Rossi) sont aussi des compositeurs, des musiciens très créatifs. Pendant la tournée de Malcolm X, on a commencé à imaginer les morceaux de Monk avec les morceaux des Pink Floyd ou d’autres « rockers ». Et on s’est amusé dans les trains… Puis on a monté des trucs ensemble, c’était un travail choral. A part l’idée originale qui est la mienne, chacun a proposé des morceaux, des combinaisons, des arrangements. On a tous travaillé ensemble
Dans votre groupe, vous avez une énergie, une puissance évocatrice et une imagination jubilatoires et communicatives ? qu’est-ce qui libère cette énergie et cet imaginaire ? quel travail derrière tout cela ? Bien sûr il faut garder la fantaisie, la voie de l’imaginaire, du rêve mais l’énergie ! On n’est plus des gamins, on a quarante tous les quatre mais l’énergie pour notre génération vient du rock. Le rock est une musique très énergique et aussi on a envie de partager avec les autres - avec le public et avec nous-mêmes aussi - la musique. On a aussi envie de s’amuser, c’est pour ça je crois qu’on a cette façon de jouer très énergique
Et votre travail ?On se connaît très bien, alors on ne répète plus ensemble. On travaille ensemble sur un nouveau projet et après on ne répète jamais. Bien sûr on travaille chez nous, dans les hôtels notre instrument, la musique et surtout le son et l’harmonie. Chacun est toujours en train de développer son style, chacun travaille à grandir comme artiste.
Pouvez-nous nous parler des musiciens ?Zeno de Rossi est un vieux copain à moi ; on habitait de la même ville de Vérone. Il est un peu plus jeune que moi. C’est un des batteurs en Italie qui joue avec tous les plus grands musiciens de jazz mais pas seulement ; il accompagne aujourd’hui un chanteur de pop très très connu en Italie.Giovanni Falzone vient du classique, il était première trompette de l’orchestre de Milan. Il a décidé d’assouvir sa passion de l’improvisation et du jazz et il a quitté l’orchestre de Milan. Il est maintenant un des plus importants trompettistes italiens et sans doute aussi en Europe.Danilo Gallo, le bassiste, vient du sud de l’Italie. Je ne le connaissais par avant Tinissima Quartet. Il connaît toute la musique de jazz de la basse électrique.
Comment êtes-vous passé du rock au jazz ?Je viens de la musique classique, je jouais de la clarinette classique et en même temps de la basse électrique et du piano dans des groupes pop rock. J’aimais aussi beaucoup jouer de la guitare et écouter du rock. J’ai été également musicien de studio de musique pop en Italie. C’est donc plus facile de mélanger jazz et rock et je l’ai fait dans tous mes disques.Mes camarades, c’est pareil ; ils ont grandi avec la pop et le rock. C’est donc naturel pour nous tous de se confronter avec cette musique.Comment je suis arrivé au jazz ? A travers la musique noire, le funk, la fusion des années 80, les groupes comme Weather Report. On a découvert toute la tradition du jazz, on est remonté au début de son histoire pour comprendre l’idiome de cette musique.
Vous estimez que Thelonious Monk est un génie ? Y a-t-il d’autres musiciens de jazz que vous admirez ?Oui bien sûr : Armstrong, j’aime tout Charlie Parker, Miles Davis, Ornette Coleman, Sonny Rollins. J’ai étudié tous les musiciens de jazz importants. A New York, j’ai eu l’occasion d’étudier avec George Coleman, un saxophoniste qui avait joué avec Miles Davis. Il était mon professeur quand j’ai fait des études ; il m’a permis d’être au contact avec les racines, avec les vrais musiciens qui ont inventé cette musique.
Le spectateur ressent l’aspect ludique de votre spectacle. Qu’en est-il ?Oui on s’amuse beaucoup, c’est le moment le plus important de notre journée de musiciens. Quand on est sur scène, c’est le moment où on est le plus content de notre vie et je pense qu’on a envie de partager ça avec vous avec le public. Et Souillac ? vous y êtes venus, vous avez enthousiasmé chacun. Nous espérons que cette année, vous pourrez jouer devant l’abbaye. Quel peut être l’impact de ce lieu sur votre imaginaire ? sur votre musique ? sur votre son ?Le lieu agit sur notre désir de jouer mais surtout il a un impact sonore parce chaque fois qu’on change de concert, on veut maîtriser l’acoustique. Le lieu, la salle, le public, tout ça touche l’acoustique, sans compter notre ingénieur du son. Il y a beaucoup d’éléments différents qu’on doit maîtriser chaque fois qu’on change de lieu de concert.
photo Souillac en jazz 2011- entretien réalisé le 2 juillet 2014 par Marie-Françoise Govin