Ah l'été ! Ça ne vous aura pas échappé mais avec la douceur
estivale, on aspire à la légèreté des lectures. On veut se
détendre, profiter des vacances, se laisser aller à un calme
indolent.
Mais si le calme est indolent la météo, elle, est bel et bien
insolente ! Et puis l'heure des vacances n'a pas encore sonné
alors je vous invite à repasser pour la légèreté. Ne voyez pas
pour autant un état d'esprit particulier au regard des trois titres
au sommaire aujourd'hui, hasard des lectures oblige. Trois titres,
trois histoires aux registres très différents mais qui puisent tous
leur essence dans des univers sombres, noirs et inquiétants,
toujours hostiles.
On commence avec Notre-Dame des loups, signé Adrien Tomas. L'auteur
a déjà deux mastodontes* de fantasy à son actif que je n'ai pas lu
pour cause de rejet à caractère persistant du genre. J'y reviendrai
peut-être mais il faudra vraiment savoir se montrer convaincant.
Pour cet ouvrage, Adrien Tomas, et c'est tout à son honneur, n'a pas
hésité à changer d'univers et d'époque. Nous voici donc avec un
western fantastique, un one shot relativement court de très belle
facture. Preuve supplémentaire, s'il en est, qu'on peut faire du bon
avec du court...
L'Amérique, 1868. Les Veneurs n'ont qu'un seul et unique objectif,
terrasser les Wendigos qui sèment la mort et la désolation sur
leurs parcours. Derrière cette volonté farouche qui les a forcé à
fuir les leurs, à renoncer à tout ce en quoi ils croyaient, se
cache bien sûr un but ultime, faire ployer et succomber Notre-Dame
des Loups sous le feu de leurs balles d'argent.
La forme narrative
adoptée par Adrien Tomas dans ce roman a pour elle de maintenir un
intérêt constant pour l'histoire. Non pas qu'on s'en serait écarté
par ailleurs mais en proposant de la suivre successivement par chacun
des membres de la Vénerie, l'intérêt s'en retrouve redoublée.
Chacun apporte en effet son éclairage sur les rapports qu'ils
nourrissent les uns avec les autres, sur ses propres moticvations,
sur les enjeux de leur quête et les liens, complexes ou ambivalents,
qui les lient à Notre-Dame des Loups. La tension est là,
l'ambiance glaçante et oppressante aussi et le final ne manque pas
d'un certain éclat... argenté...
Le Voyageur de James Smythe, mon avis est un peu plus mitigé. Et
pourtant la matière est là. Après avoir passé toutes les étapes
de sélection, le journaliste Cormac Easton obtient son billet pour
l'Espace. L'objectif du voyage est simple, aller plus loin qu'aucun être
humain ne l'a jamais fait. La conquête de l'inconnu comme nouveau
rêve pour une humanité en perte de vitesse. Il faut peu de temps
cependant pour que l'odyssée tourne à la déconvenue la plus
totale. Tous les passagers meurent les uns après les autres. Ne
reste plus que Cormac, isolé dans le vaisseau dans l'attente du
retour programmé.
En ce qui concerne
Si le livre est intéressant dans ce qu'il révèle du sentiment
d'isolement et de solitude et de ses incidences, notamment dans le
regard que Cormac porte sur lui-même, celui qu'il était, celui
qu'il est devenu, il m'a manqué quelque chose dans ce roman. Ou plus
exactement même si, comme je le disais, l'approche est intéressante,
je n'y ai pas cru. Mis à part peut-être à travers ses pensées le
ramenant en arrière, vers sa femme Elena et les étapes successives
amenant à sa sélection pour faire partie du voyage, la voix de
Cormac ne m'a pas touché. Il n'a jamais su me transmettre totalement
sa peur ni le vertige de sa fuite en avant dans le néant spatial.
Mais tout compte fait, c'est peut-être plus la sensation que tout
arrivait à point nommé, en raison de contingences narratives, qui a
fini de me laisser à l'écart et fait en sorte que Cormac me reste
aussi étranger qu'il s'est révélé l'être pour lui-même.
Des nœuds d'acier, de Sandrine Collette. Comme on y voit très peu de lumière, peu
d'espoir. Il y a pourtant des éclairs de poésie, vite rabattus
cependant par l'implacabilité du récit.
Théo sort tout juste de
dix-neuf mois de prison pour un crime commis à l'encontre de son
frère. Il n'aura pas le loisir de goûter longtemps à sa nouvelle
liberté. Retranché en pleine campagne, il se fait capturer par
deux vieillards qui l'enferment dans la cave de leur ferme et se font
de lui leur esclave.
Des nœuds d'acier a ceci de troublant qu'il se
passe à notre époque, que les événements qui y sont décrits
imprègnent le lecteur aussi bien par leur noirceur que par leur
plausibilité. Le calvaire de Théo est palpable du début à la fin
du récit, les mots qui l'illustrent sont comme des broyeurs. Ils
n'épargnent pas. Ils vont droit au but, ne se jouent pas de
complaisance. Il en est ainsi pour le cadre de l'histoire (la forêt,
la ferme, la poussière ambiante, les relents de crasse, de merde),
pour ceux qui la composent (les vieillards, leurs proches et leurs
victimes) que pour ce qu'ils dévoilent : la folie, la cruauté
et, bien plus que la confusion, la perte de soi, bien plus que
l'humiliation, l'avilissement. Le lecteur, et c'est tant mieux, n'est
pas épargné non plus car il est sans arrêt présent à chacune de
ces étapes de déconstruction. Il voudrait y aller de son
indignation, faire bouger les lignes autant que les actes mais il ne
peut rien faire d'autre que d'assister aux outrages dont est victime
Théo. Il ne peut que lire et s'émerveiller (!) de la manière dont
Sandrine Collette, dont c'est ici le premier roman, a su ferrer son
lecteur avec une histoire si glauque et oppressante. La force des
mots, encore une fois, le style, la psychologie des personnages avec
aussi, dans la balance, le poids des réflexions portées sur les
liens fraternels, fragiles jusque dans leur aspect fusionnel, ou sur
la violence rurale.
Pas étonnant donc que Des Noeuds d'acier ait
reçu le Grand Prix de la littérature policière 2013... et que mon
intérêt se porte aussitôt sur Un vent de cendres, un histoire
qui, encore une fois, a l'air de prendre aux tripes.
Voilà c'est fini pour aujourd'hui. Vous devriez maintenant savoir à quoi vous
attendre mais j'essaierai de faire plus gai pour la prochaine fois.
* La Geste du sixième royaume et La Maison des Mages
Notre-Dame des Loups, d'Adrien Tomas, Mnémos, 2014, 198 p.
Le Voyageur de James Smythe, traduit de l'anglais par Claude Mamier, Bragelonne, 2014, 352 p.
Des noeuds d'acier, de Sandrine Collette, Le Livre de Poche, 2014, 264 p.