La métropole commence à l'intéresser à la Guadeloupe. Ci-après un article du journal LACROIX : Anna-Bella FAILLOUX, responsable du Laboratoire arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur de Paris répond aux question du journaliste Denis SERGENT
Arrivée aux Antilles fin novembre, l’épidémie, qui a déjà touché plus de 50 000 personnes, ne faiblit pas.
– Quel bilan peut-on faire de l’épidémie de chikungunya ?
Anna-Bella Failloux : Plus de 50 000 personnes sont touchées par le virus du chikungunya, soit près de 10 % de la population, et 33 patients, généralement âgés ou immunodépressifs, sont décédées. À ces malades avérés, il faut ajouter les patients asymptomatiques qui ont été piqués par un moustique infecté mais ne développent pas les symptômes de la maladie (1). Ils jouent le rôle de réservoir et peuvent continuent à infecter des moustiques qui, à leur tour, iront contaminer des personnes saines. Le premier cas a été détecté sur l’île Saint-Martin fin novembre 2013, puis la maladie a touché l’île voisine de Saint-Barthélémy, et enfin la Guadeloupe et la Martinique fin décembre. Sur le continent américain, la Guyane française a, elle, été infectée en février 2014.
– Comment l’épidémie peut-elle évoluer ?
A.-B. F. : On ne sait pas quel est le seuil épidémiologique à partir duquel la maladie se stabilise. Mais à La Réunion, en 2005-2006, environ 30 % de la population avait été atteinte, soit 266 000 personnes, et 250 étaient décédées. En extrapolant, on peut imaginer que l’épidémie aille jusqu’à toucher 150 000 personnes. La situation épidémiologique pourrait également s’aggraver dans les semaines à venir avec le début de la saison des pluies, favorable à la ponte des moustiques (une femelle pond environ 300 œufs tous les 4 jours), et avec l’arrivée attendue de 400 000 vacanciers.
– D’autres régions du monde peuvent-elles être touchées ?
A.-B. F. : L’épidémie risque aussi de s’étendre sur le continent américain, où sont présentes les deux espèces de moustiques (Aedes aegypti et Aedes albopictus) capables de transmettre le virus. Ces moustiques sont présents depuis l’Argentine jusqu’en Floride en passant par le Brésil, pays où on dénombre déjà 2 millions de personnes atteintes de la dengue. Les États-Unis viennent d’ailleurs de déclencher une alerte.
Enfin, il y a un risque important pour la France métropolitaine, au moment où des milliers de vacanciers ultramarins s’apprêtent à rentrer, début août et début septembre notamment. En effet, depuis mai 2014, il y a eu 47 cas de chikungunya et 15 de dengue dans les 18 départements infectés par le moustique tigre. Ils provenaient à 95 % de personnes revenant des Antilles, selon l’Institut de veille sanitaire (InVS).
– Existe-t-il des parades ?
A.-B. F. : A ce jour, il n’existe pas de traitement du chikungunya. En réalité, c’est une grosse grippe. Normalement, elle ne tue pas directement. En ce sens, cette maladie est moins grave que la dengue, où il y a une forme hémorragique mortelle. La parade est d’éviter tout contact avec les moustiques. Soit par des moyens physiques (destruction des points d’eau, qui constituent des gîtes larvaires, moustiquaires aux fenêtres, corps protégé…), soit par voie chimique. On peut utiliser des répulsifs voire des insecticides. Mais, aujourd’hui, seuls quelques-uns sont autorisés compte tenu des nombreuses résistances que les moustiques ont développées depuis quelques années.
– Où en est la recherche ?
A.-B. F. : Des méthodes alternatives sont à l’étude. En modifiant génétiquement les moustiques femelles (on exacerbe leur propre immunité), on peut les empêcher de transmettre le virus. On peut aussi stériliser par irradiation les moustiques mâles, de façon à ce qu’il n’y ait plus de descendance. Une opération toutefois risquée car, comme bien souvent, la nature a horreur du vide. Si le moustique tigre disparaît, qui va prendre sa niche écologique ? Ne risque-t-on pas de favoriser l’avènement d’une espèce encore plus nuisible pour l’homme ? Ces expériences marchent bien au laboratoire depuis une dizaine d’années. Mais, en France, les essais sur le terrain n’ont pas encore eu lieu. »
Recueilli par Denis Sergent
(1) Une forte fièvre et des douleurs articulaires pouvant être très violentes qui ont donné son nom à la maladie, chikungunya signifiant « homme courbé » en swahili