by Simon ULRICHon under La gauche d'Opposition∞ L’affaire Alstom n’en finit plus de faire parler d’elle. Alors que l’on croyait qu’elle avait enfin trouvé un dénouement, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) vient jouer les troubles-fête. La faute à un accord bancal, qui a pourtant réjoui gouvernement et trop de médias. Cependant, la mise en garde de l’AMF ne devrait pas changer grand-chose pour le fleuron industriel français – seul l’Etat serait perdant financièrement. La branche énergie de l’entreprise sera donc rachetée conjointement par le conglomérat américain General Electric et par l’État français. Si le ministre de l’Économie et du redressement productif, Arnaud Montebourg – pourtant longtemps favorable à la constitution d’un géant européen et au rapprochement avec l’allemand Siemens – a sans doute « éviter le pire », pour reprendre les mots de Jean-Luc Mélenchon, cette solution ne peut nous satisfaire. De plus, elle illustre encore une fois que l’Union européenne et son idéologie ultralibérale est une épine aux pieds de notre économie.De par son activité dans l’énergie et les transports, Alstom n’est pas une simple entreprise. Ses activités demandent des investissements très lourds. La firme industrielle est ce qu’on appelle dans la théorie économique – pourtant libérale – un « monopole naturel » à rendements d’échelle croissants[i]. Ce sont les seuls cas d’entreprises « nationales » tolérés par les libéraux traditionnels. Nous pouvons ajouter, qu’Alstom est une entreprise d’utilité publique. Elle est indispensable à tous les Français. Pour finir, avec Alstom se joue la souveraineté énergétique de l’Hexagone, le groupe bénéficiant d’une technologie de pointe dans de nombreux domaines, comme dans la transmission électrique (Grid) ou dans les éoliennes marines (offshore). Ces raisons justifient une solution radicale pour l’entreprise : la nationalisation. Il ne s’agit pas de fétichiser la nationalisation en elle-même, qui lorsqu’elle se présente comme « le remplacement des managers en place par les nôtres », pour reprendre les mots de Cornelius Castoriadis, ne diffère pas en nature du capitalisme. Le but est donc plus profond, rendre à la fois le pouvoir aux salariés, tout en garantissant l’utilité à la collectivité. « L’ensemble des syndicats s’est positionné pour une troisième voie, celle d’une participation publique avec rachat par des fonds publics du capital détenu par Bouygues » déclarait Bernard Devert, délégué national de la CGT-métallurgie dans les colonnes de Regards, le 2 mai dernier. Cette solution présentait l’avantage d’éviter le « démantèlement des transports publics et la mise en concurrence » d’après Christian Garnier, délégué CGT chez Alstom. Une idée qui ne semble pas déraisonnable, car pour devenir actionnaire principal, l’État n’aurait eu à débourser « que » 2,5 milliards d’euros. Un investissement qui en plus pourrait s’avérer rentable, car il est bon de rappeler qu’Alstom va bien : son carnet de commandes est plein et s’établit à 51,5 milliards d’euros. Le principal souci de l’entreprise provient du surendettement (2 milliards) né de la mauvaise gestion de son actionnaire principal, Bouygues (29,4 % des actions), qui n’espère que faire une belle plus-value avec la vente de ses parts. Mais la nationalisation ne ferait pas intervenir qu’Alstom et l’État. La majorité des profits (environ 70 %) du fleuron s’effectue auprès de grandes entreprises publiques (SNCF, EDF, RATP ou encore Areva). C’était donc l’occasion de créer un grand pôle public du transport et de l’énergie. Une proposition très réaliste, puisque le quotidien L’Humanité dévoile qu’il était crédibilisé par des travaux d’experts.Mais, il y a un hic. Celui-ci se nomme l’Union européenne. Certes, il faut rappeler que si cette solution ne s’est pas concrétisée, c’est parce que le gouvernement n’en voulait. Mais si ce dernier avait souhaité le faire, il se serait heurté à la résistance de l’UE. Car il faut se souvenir que la question de la nationalisation s’est déjà posée, entre 2003-2004. A l’époque, l’entreprise était en proie à de grandes difficultés était menacé de disparition. C’est à ce moment que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, décide – à la suite de l’action de son prédécesseur Francis Mer – de nationaliser partiellement et temporairement la firme. L’affaire ne s’était pas déroulée sans encombre, l’ex-président de la République a dû négocier avec la Commission européenne et notamment Mario Monti. Le plan de sauvetage d’Alstom, qui est passé par une validation nécessaire de Bruxelles, était avant tout un plan de sauvetage du modèle capitalise européen. Il devait naturellement respecter les règles de concurrence imposées par les traités européens – qui depuis n’ont pas été remises en question avec le traité de Lisbonne entrée en vigueur en 2009. Ainsi, l’État a pris 21,36 % du capital pour 720 millions d’euros dans le cadre d’une aide de 2,8 milliards d’euros. Les conditions ont été évidemment dictées par Bruxelles : le fleuron a dû céder des actifs à hauteur de 10 % de ses quelque 20 milliards de chiffre d’affaires ; l’État devait quant à lui vendre sa participation dans les quatre années qui suivent. En 2006, il cède donc ses parts à Bouygues. Cette fois, c’est différent. L’entreprise n’était même pas en difficulté, la (mauvaise) solution de 2003-2004 n’était même pas envisageable ! Car la revente des actionnaires ne répondait qu’à une exigence de rentabilité. Quant aux conditions de rachats proposées (que ça soit l’offre américaine ou l’offre nippo-allemande de Mitsubishi-Siemens) avait pour logique la formation de mastodonte favorisée par la mondialisation et la concurrence européenne.Notre économie se désindustrialise dangereusement. La part de l’industrie dans le PIB français est passée de 35 % en 1970 à moins de 20 % actuellement. Cette évolution est vraie pour tous les pays dits « industrialisés ». Elle est cependant plus marquée en Europe, même en Allemagne où la part de l’industrie a toujours été nettement supérieure à la moyenne. Pourtant deux enjeux sont liés à l’industrie. Le premier est celui de l’emploi, le secteur étant un moteur, avec une productivité plus élevée. Le second est écologique : l’éloignement entre les lieux de productions et les lieux de consommation représente dans cette optique une véritable catastrophe en augmentant notamment les trajets inutiles. Dans le cas d’Alstom un problème stratégique, relevant de l’intérêt national, s’y ajoutait. Pendant ce temps, l’UE ne se fait que la garante des dogmes néolibéraux.
[i] Les rendements d’échelle représentent les gains d’efficacité suite à l’augmentation des facteurs de production (c’est-à-dire du capital ou du travail). Ils sont dits « croissants », lorsque la production augmente plus fortement que les facteurs de production.