Nicolas Sarkozy ne parvient toujours pas à retrouver les grâces de l'opinion française. La réconciliation s'annonce plus difficile que prévue.
La récente émission de Bernard Kouchner sur France 2 a montré la véritable nouvelle frontière de la seule rupture nécessaire : faire imploser les lignes politiques habituelles pour ouvrir de nouveaux espaces.
Jeudi 15 mai, sur le plateau de France 2, Bernard Kouchner a relevé un véritable défi : exposer combien le temps de l'opposition droite/gauche est passé.
A l'issue de plusieurs cohabitations, il a pris fin au début du nouveau millénaire.
La société vit désormais un clivage entre les modernistes et les conservatistes.
Les premiers sont ceux qui croient au développement personnel, à l'individualisation des vies et à l'internationalisation incontournable.
Les seconds refusent de fait ce qu'ils pensent être le nouveau millénaire parce qu'il est pour eux le siècle de toutes les peurs : la mondialisation, le terrorisme, les précarités généralisées y compris sur le devenir même de la planète avec le dossier de plus en plus vulgarisé du réchauffement climatique…
La difficulté résulte du fait que ce nouveau clivage ne recouvre pas les frontières de l'ancienne organisation de nos forces politiques.
La vie politique ne recouvre plus les grands repères de la réalité sociologique. Le vote du 29 mai 2005 à l'occasion du référendum sur le traité européen a été le 1er scrutin à consacrer aussi manifestement l'émergence de cette évolution.
Parce qu'elle ne correspond pas aux repères anciens, cette évolution devrait faire imploser les composantes politiques traditionnelles au sein desquelles cohabitent désormais des tenants de lectures trop éclatées de l'avenir.
De ce décalage entre la France politique et la France sociologique naît la paralysie de notre pays face à la modernité.
Les scrutins sont construits sur une "parole d'élection" qui ne peut pas être le socle d'actions car elle n'a pas d'ancrage sociologique majoritaire réel.
Chaque coalition politique continue sur la lancée de son histoire, avance avec les à-coups d'intérêts à court terme de son leader. Mais, en aucun cas, elle n'a eu le courage de regarder en face cette nouvelle réalité.
Le Parti Socialiste reste ancré aux coalitions de l'ancien siècle.
Il a tourné la page de la seconde moitié des années 80 qui l'avait vu se proclamer champion d'une "société moderne", la "France branchée" qui accepte le marché, l'Europe et les nouvelles technologies.
Il s'est replacé en fidèle héritier de François Mitterrand cherchant à rassembler la "gauche" pour battre la "droite". Sacré défi puisqu'il existe désormais plusieurs gauches comme plusieurs droites toutes aussi éclatées les unes que les autres.
Sur cette ligne, ce ne peut être que la poursuite de l'ère du vide des dernières années car comment concilier les inconciliables si ce n'est en maintenant une parole d'élection tellement déconnectée des réalités qu'elle ne peut avoir valeur de contrat pour l'action.
Face à cette logique, Bernard Kouchner a fait un pas courageux.
Si son exemple était suivi, c'est l'ensemble de l'échiquier politique qui pourrait ainsi vivre une recomposition historique.
C'est un débat majeur qui se pose aujourd'hui à l'ensemble des décideurs publics. Ils savent que les nouvelles frontières imposeront des recompositions parfois aventurières à l'origine. Mais n'est ce pas le prix de la clarté ultérieure qui seule permet d'avancer ?
Au moment où la France prend du retard dans de très nombreux domaines avec des citoyens en proie à un mal-être préoccupant, quel sera les autres leaders à "franchir les lignes jaunes" habituelles ?
Bernard Kouchner avait le ton de la sincérité et de la vérité.
Le ton de la sincérité, car il a su montrer que son choix répondait à un sens et non pas à un quelconque opportunisme. Il l'a démontré avec conviction, humilité.
Il avait surtout le ton de la vérité soucieux de sortir des querelles dépassées, désireux d'ouvrir de vrais débats.
Pierre Moscovici, rédacteur du programme présidentiel de Jospin en 2001, est un des derniers conceptuels de talent du PS.
Il a dû se réfugier à de nombreuses reprises derrière des formules générales pour éluder les vraies questions posées par Bernard Kouchner. Des questions qui ont montré, si besoin était, que la véritable fracture échouée lors de la première année du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy c'est la non implosion des fonds de commerces politiques habituels. C'est pourtant peut-être là le point de passage obligé préalable pour toutes les réformes afin que les blocages habituels n'encadrent plus le politiquement correct qui paralyse.