Si vous vous perdez en conjecture sur la signification du Jew’s harp, c’est que vous n’êtes pas anglophone. Nul n’est parfait ( !) Cet instrument n’est rien d’autre que notre bonne vieille guimbarde.
Eh oui, voici enfin dans nos collections les fameux concertos pour guimbarde et orchestre du contemporain et ami de Haydn, le très respectable Johann Georg Albrechstsberger, ci-devant Maître de chapelle en la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, et qui fut aussi l’ami de Mozart et un des maîtres de musique de Beethoven.
Si Mozart connut un virtuose de l’harmonica de verre dans les rue de Vienne, autre instrument bizarre entre tous, pour lequel il composa une sonate, il en est de même d’Albrechtsberger qui connut un virtuose de la guimbarde, à qui il dédia ces deux concertos. C’est fou ce qu’on pouvait rencontrer de gens et d’instruments bizarres dans les rues de Vienne, à la fin du 18ème siècle !
Jew’s harp… Bien sûr, l’appellation moqueuse de la guimbarde est un peu dénigrante, et pour la harpe et pour les Juifs. Dénigrante mais pas tout à fait absurde quand on se rappelle les mots du grand violoniste Nathan Milstein : « J’ai choisi de jouer du violon, parce que si je dois partir, c’est plus facile à emporter qu’un piano ». La guimbarde, elle, tient assurément au fond de la poche. Mais il paraît que l’appellation Jew’s harp est une déformation de jaw’s harp, « harpe à bouche », ce qui est en même temps plus conforme à la réalité et plus respectueux des Juifs.
En voici quelques autres en vogue dans les campagnes françaises : trompette tsigane, trompe-laquais, trompe de Béarn. Et encore quelques appellations étrangères amusantes: Amaan khuur vièle de bouche ou Khel khuur tambour de langage en Mongolie, Bombarlouche en Gaspésie… (bombarde pour bar louche ?), Brummeisen fer qui bourdonne ou Maultrommel tambour de gueule chez les Allemands, Gronde au Québec, ou Mungiga « violon de bouche » en Suède ; et enfin pour la fine bouche : scacciapensieri « chasse-pensées » en Italie, pour ceux qui broient du noir.
Mais pour en revenir aux concertos d’Albrechstberger, qu’en dire de plus ? Eh bien, que c’est une musique tout-à-fait pince-sans-rire, ce qui qualifie aussi bien la manière de jouer de la guimbarde en la pinçant entre les dents, que le style classique avec sa légèreté un peu guindée. Finalement une belle rencontre (encore une) entre le populaire et le savant.
Paul Krisof
ALBRECHTSBERGER, Johann Georg. Concerto for Jew’s harp, mandora and orchestra (Orfeo, 1982) Disponibilité
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