Un film de Stanley Kubrick (1975 - USA) avec Kirk Douglas, Adolphe Menjou, George McReady - en N.B.
Hallucinant...
L'histoire : 1916. La guerre entre la France et l'Allemagne s'enlise, aucun des deux camps ne parvenant à être plus fort que l'autre. Sur le front, dans les tranchées, les soldats meurent par centaines sans qu'aucune avancée significative ne parvienne à faire la différence. L'état major de l'armée française n'en peut plus et soupçonne les unités de n'être constituées que de mauviettes. Il faut marquer un grand coup, que la France reprenne le moral, avant de vaincre définitivement. Le général Broulard vient voir son homologue, le général Mirbeau, pour lui faire part de la décision du haut commandement : il faut prendre la côte 110, un point tenu par les Allemands. Impossible, lui réplique Mirbeau ! Les soldats sont de moins en moins nombreux et ceux qui restent sont blessés ou malades. Broulard n'a que faire de ces considérations. Il fait miroiter à l'autre un bel avancement... Mirbeau hésite, pour la forme, puis accepte. Après tout, c'est vrai, on doit bien pouvoir la prendre, cette côte 110 ! Sur le front, les soldats et leurs supérieurs sont informés qu'ils doivent livrer le combat de leur vie. C'est vraiment le cas de le dire...
Mon avis : Un film de guerre passionnant ! Jamais je n'aurais cru que je pourrais prononcer cette phrase, moi qui déteste la bagarre ! Quand on regarde des films de guerre, souvent c'est parce que c'est à mon homme de choisir le programme. Il y en a parfois des bien, mais la plupart du temps, je m'ennuie ferme : j'en ai rien à battre des armes, des stratégies, des conflits... La seule chose qui peut me toucher vraiment, ce sont les enjeux politiques du conflit (j'adore la politique) et la réflexion autour de l'absurdité de la guerre. Et c'est sur ce deuxième point que Les sentiers de la gloire fait mouche ! C'est mordant, percutant, ironique, dément ! Me voilà encore plus convaincue qu'avant - si c'est possible - de la nécessité de militer encore et encore pour le pacifisme. Ce qui est une totale utopie, puisque l'homme, outre l'esprit de conquête, et de revanche, possède intrinsèquement le goût de la gloire. C'est ce que nous raconte ce film magnifique.
Ca commence fort, dès le début, avec une scène qui m'a scotchée au canapé. Alors que le narrateur vient de nous faire un résumé de la situation, évoquant l'horreur du quotidien dans les tranchées et son cortège de blessés, d'agonisants et de cadavres... nous voyons deux beaux officiers se faire des courbettes sous les ors de la république, échangeant des banalités sur ce décor merveilleux et ces magnifiques tapis ! Comme deux vieilles dames s'apprêtant à prendre le thé bien gentiment. Puis on entre dans le vif du sujet, le premier exigeant de l'autre qu'il gagne une bataille impossible, un affrontement suicidaire pour ses hommes, mais lui promettant en échange un avancement grandement mérité. La gloire, en somme. Au prix d'une boucherie annoncée sur le terrain, ce dont ils se fichent éperdûment. Il faut gagner même s'il ne reste plus un seul gars vivant. Et là, on dirait cette fois deux gamins qui jouent au Risk...
On retrouve quasiment la même scène à la fin, avec un changement de personnage. La boucle est bouclée. C'est absolument génial, et sur le fond, et sur la forme.
Ensuite il y a une autre scène qui m'a beaucoup marquée, où le général, dans son beau costume, vient inspecter ses troupes dans la tranchée, demandant aux soldats, les uns après les autres : Alors ? Prêts à tuer plein d'Allemands ? On sait que la réponse n'a pas d'alternative... Pendant cette visite, le général croise, sans leur accorder le moindre regard, des blessés ou des morts affalés sur les cloisons, des soldats transportant des brancards de fortune... De temps en temps, une explosion... et là, il frotte son manteau d'un air agacé parce que des petites poussières sont tombées dessus... Enorme.
Le reste du film est à l'avenant, nous montrant un gouffre entre l'état major et ses fastes, et la chair à canon, dont on ne fait aucun cas, si ce n'est pour la fusiller afin de faire des exemples : "C'est comme avec les enfants ! Il faut qu'il sache que l'autorité est là. Ca les rassure". L'ignominie humaine dans ce qu'elle a de pire : le mépris total de l'autre, le droit de vie et de mort que l'on s'arroge sans se poser la moindre question, tant il est évident que l'on est supérieur aux autres. Mensonges et manipulations, petites et grandes vanités, cynisme sans nom, absurdité des situations, absurdité des ordres, absurdité des dialogues... qui prennent carrément un tour dantesque quand on en arrive au procès des pauvres soldats :
- Qu'avez-vous fait après ?
- J'ai vu que tous mes camarades étaient morts.
- Je ne vous demande pas ce que vous avez vu, je vous demande ce que vous avez fait !
- Ben... je suis rentré à la base.
- Voilà. Vous vous êtes donc replié. Vous avez reculé devant l'ennemi. Vous êtes un lâche.
Et autres échanges de ce genre, absolument hallucinants ! L'histoire du général qui fait tirer sur son propre camp n'est pas mal non plus...
La mise en scène est parfaite, avec des images claires, simples et pures, comme si la guerre était propre. Même pendant les scènes de combat (peu en fait, le film s'attache surtout sur les discussions démentes des hauts gradés), on ne voit pas de boue, pas de sang, on dirait juste un jeu avec des petits soldats de plastique. La caméra est fluide, suit les personnages dans de larges mouvements, de courts mais gracieux plans séquences ; j'adore ! La seule chose qui m'a un peu gênée au début, c'est le fait que les Français soient incarnés par des anglo-saxons... surtout lorsque parmi eux figure une star internationale. Pour les autres, c'est moins grave, mais voir Kirk en officier français, j'ai eu un peu de mal... Mais on s'habitue très vite tant le propos est intense.
Et le pire de tout ça, vous savez quoi ? C'est que c'est inspiré d'une histoire vraie ! Celle dite des caporaux de Souain où le général Réveilhac aurait fait tirer sur son propre régiment dont les hommes refusaient de sortir des tranchées lors d'un assaut impossible contre une colline occupée par les Allemands, avant de faire exécuter quatre caporaux pour lâcheté et insoumission. Du coup, la France a mis dix-huit ans avant d'accepter que le film de Kubrick soit diffusé sur le territoire...
Ahurie, je suis restée ahurie. Un fucking good movie !
Cet article a été programmé car je suis absente jusqu'au 28 juillet. Je répondrai à vos commentaire dès mon retour.