d'après SOUVENIR (1884) de Maupassant
Un dimanche, dans les bois de Saint-Cloud, J’avais emprunté une longue allée Lorsque tout à coup Un homme et une jeune femme m’interpelaient.
J’allais vers eux. -« Où sommes-nous, monsieur ? » -« Vous allez vers Saint-Cloud. » Avec un regard irrité vers son époux La femme reprit : -« Mon imbécile de mari Nous a perdus. Il n’a jamais eu Le sens de l’orientation ! Or, nous devons Être dans une heure à Versailles. »
-« Je vais vous guider. Je m’y rends aussi. » La femme avait un charme fou, Et même un petit air canaille Qui ne me déplaisait pas du tout. Brune, les yeux bleus, la bouche jolie, Et un décolleté à faire rêver !
L’homme semblait désolé : -« Mais ma bonne amie,…c’est toi… » -« Ah !... C’est moi ! C’est moi, maintenant … Qui ai voulu partir sans renseignements …Moi, qui, à l’orée du bois, Ai voulu prendre tout droit… Moi, qui ai voulu emmener Mirza ? » Le mari, indifférent, siffla : -« Tsiiitsiiit ! »
Elle, accumulait avec furie Les accusations contre son mari. Lui, Voulant la calmer, dit : -«Ne nous donnons pas en spectacle à monsieur.» Puis il tourna les yeux vers les taillis Comme s’il voulait en sonder la profondeur Et poussa un nouveau : -« Tsiiitsiiit ! » La femme, de façon maniérée, Reprit : -« Si monsieur veut bien, Nous cheminerons avec lui Afin de ne plus nous égarer. »
Je ne répondis rien. Elle me prit le bras. Et m’expliqua : -« C’est mon petit bichon Que j’ai perdu. Il n’était jamais sorti de notre maison. J’ai voulu le promener Et il a disparu. » Sans se tourner vers son mari, Elle lui dit : -« Si tu l’avais tenu en laisse, abruti, Cela ne serait pas arrivé. »
-« Je crois… Aussi…que j’ai… » -« Eh bien, quoi ? » -« Quand je tenais mon veston sur le bras, Mon portefeuille a dû glisser. » -« Il ne manquait plus que cela ! Va le chercher et tâches de le retrouver. Je ne tiens pas à coucher dans ce bois. Je vais gagner Versailles avec monsieur, moi. »
-« Où vous retrouverai-je, mon amie ? » -« Au restaurant Chez Amélie ! » Tandis que le mari s’éloignait, Moi, avec sa petite femme, je filais. Au bout d’une allée, dans un vallon, Je lus sur un panneau d’indication : ‘’Bougival’’ ! Ma voisine se mit à rire ! Je lui dis :-« Je vais quérir Une voiture pour gagner Versailles.», Elle me répondit : -« Non. La faim me tenaille. Dinons ici. Mon imbécile de mari se retrouvera bien, lui ! Et pendant ce temps, j’en serai soulagée ! »
Nous entrâmes dans un grand restaurant. J’osai prendre un cabinet particulier. S’étant grisée, chantant, dansant, Elle fit toutes sortes de folies…toutes… Et même la plus grande de toutes !