Ghizlène Chajaï, vue d'exposition - Photo : R. Görgen
Ghizlène, je vous en ai parlé il y a quelques temps ici. C’est une copine mais ce n’est pas pour faire du copinage que je vous en parle, c’est essentiellement parce que son travail m’interpelle et m’intéresse. La seconde raison est la suivante : j’aime comprendre quelles sont les "étapes" nécessaires à une création (les fameux 6 jours et le septième on se repose) et Ghizlène m’a permis d’assister aux avancées du travail pour cette exposition au CEAAC, à ses doutes aussi, à ses évolutions, à ses remises en question… et je profite de ce texte pour la remercier de cette opportunité qu’elle m’a offerte.
Ghizlène Chajaï, recto et verso d'une carte de visite, exposition Ppagan, Ceaac 2014
Ghizlène est donc partie il y a un peu plus d’un an en Corée du Sud en résidence d’artiste avec le Centre Européen d’Actions Artistiques Européennes : elle y a fait des rencontres, des découvertes, et elle est rentrée et a poursuivi le travail entrepris là-bas. Un travail qui interroge une société, un pays, deux pays. En effet, comment oublier la Corée du nord quand on est proche de la frontière ?
Ghizlène Chajaï, recto et verso d'une carte de visite, exposition Ppagan, Ceaac 2014
J'ai eu la chance incroyable d'aller au Japon et, à lire Ghizlène, à l'entendre parler de son voyage et, à voir les œuvres produites, dans ces deux pays, les sociétés oscillent entre modernité et tradition. Des temples dédiés aux croyances jouxtent les temples technologiques de la société de consommation et de communication totale symptomatiques du monde dans lequel nous vivons. Ainsi, Samsung, LG ou encore Hyundaï, entreprises pourvoyeuses d'emplois, deviennent des temples contemporains mais ne font néanmoins pas oublier rites, histoire, croyances, symboles, couleurs, traditions... Ghizlène fait se côtoyer dans ses œuvres les dualités de cette société à cheval entre traditions et contemporanéïié.
Ghizlène Chajaï, vue d'exposition - Photo : R. Görgen
Ghizlène Chajaï, je l'ai connue, elle créait des costumes, des masques, à gaz entre autres. Les costumes étaient portés puis elle mettait en scène et photographiait, elle les a aussi exposés ensemble en une armée un peu étrange. Ghizlène Chajaï n'est pas costumière, photographe non plus, artiste, elle va choisir le médium qui va servir au mieux son propos, ce qu'elle veut nous montrer, nous dire, ce qu'elle veut créer. Dans l'exposition Ppalgan au CEAAC, on peut y voir des dessins, une "sculpture/costume/installation", des peintures, des photographies et aussi des cartes de visite. Pour ces dernières, c'est à nous de les remplir : attention, il est important de ne pas oublier notre statut (célibataire ou marié) ainsi que le salaire annuel (société consumériste ? Je dirai qu'elle a le mérite d'être moins hypocrite que d'autres). Ces cartes, elle les a créées pour plusieurs raisons : elle a reçu beaucoup de cartes de visite, quand on est là-bas, les gens en donnent à toutes occasions. Et ils posent des questions aussi très privées, ce qu'on gagne et quel est le statut marital en sont de bons exemples.
Ghizlène Chajaï, vue d'exposition - Photo : R. Görgen
Pour la réalisation de cette exposition, Ghizlène Chajaï a voyagé mais pas seulement. Pour la réalisation de ses œuvres, elle a aussi pris des cours de broderie, elle a réalisé une étole qu'elle présente. Cette dernière, elle l'a aussi utilisée dans une photographie, Les 3 clés. « Un dicton dit que l’homme qui souhaite épouser une femme doit avoir trois clés: celle de son travail, de sa voiture et de sa maison. Je représente ici les 3 clés par les trois grandes familles qui détiennent un pouvoir économique et politique décisif en Corée du Sud : Samsung, Hyundai , LG et les 3 mouvements spirituels (également important dans des enjeux sociétaux et identitaire): le bouddhiste, le confucianisme et le christianisme. Les croix rouges : les églises ont des croix en néon rouge éclairant la ville la nuit, il y a énormément d’églises au mètre carré. La jeune femme a des yeux de mangas pour symboliser l’omniprésence de la chirurgie esthétique. Un nouveau visage de la société qui s’ouvre à l’occident mais qui tente de s’attacher à ses valeurs traditionnelles pour conserver son identité. », nous dit Ghizlène. Drôles, amusantes, ces images le sont, perturbantes aussi : elles nous présentent un monde fait de paradoxes, en pleine mutation. Les images de Ghizlène sont toujours à interprétations multiples et cherchent à nous interroger.
Ghizlène Chajaï, vue d'exposition - Photo : R. Görgen
Ce qui est à voir au CEAAC, c'est le travail de Ghizlène qui a confronté ses idées à une société dans laquelle elle a résidé trois mois : découvertes, confrontations, confusions, incompréhensions, interrogations. Mais ce qu'elle nous livre ici ce n'est pas ces seuls trois mois mais c'est aussi l'année qu'elle a passé ensuite à en quelque sorte digérer ce séjour et toutes les idées qu'elle y a eues. Elle n'était pas seulement dans une société en pleine mutation, qui flotte entre traditions et modernité, la Corée du sud est aussi un pays en guerre ou du moins en paix relative qui vit une séparation, une division, et qui vit avec. Ghizlène montre cela aussi, cette frontière, cette tension qui existe et qu'elle a ressenti en y vivant. Et nous, comment vivons-nous ? Peut-être pouvons-nous transposer ces images et nous demander en quoi et vers quoi notre monde est en train de se transformer aussi, non ?
Cécile.
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Ppalgan - Ghizlène Chajaï, exposition du 21 juin au 20 juillet 2014.
Ceaac / 7, rue de l'abreuvoir / 67000 Strasbourg / 03 88 25 69 70 / Ouverture du mercredi au dimanche de 14h à 18h. Entrée libre.