L'Ecole des femmes : Molière / Jean-Pierre Vincent

Publié le 04 février 2008 par Dedalus

Le petit chat est mort

Arnolphe n'a d'autre crainte pour lui que de connaître, après tant d'autres maris dont il lui a plu de railler les cornes, le déshonneur d'être cocu. Aussi a-t-il pris soin, avant de prendre femme, de façonner pour son usage "la femme idéale" : il l'a choisie petite fille et, la tenant cloîtrée, a veillé à ce qu'elle demeure innocente, c'est-à-dire sotte. En dépit de ces efforts, il découvre alors que l'innocence a des sincérités tout aussi menaçantes pour le front d'un mari que la ruse qu'il appréhende tant de l'esprit par trop dotée d'une femme avertie des choses de la vie.

Cette comédie en alexandrins est, par la langue notamment, une des plus belles réussites de Molière. Jean-Pierre Vincent s'y révèle une fois encore un formidable directeur d'acteurs, aidé en cela par la qualité de ceux-ci. On chante partout le talent de Daniel Auteuil, et on a en cela raison : il excelle à en faire trop et nous régale d'un bout à l'autre d'une pièce où il ne quitte pas la scène. Mais on en oublie de souligner la performance de Lyn Thibault qui campe à la perfection l'ingenuité d'Agnès - ingénue sans doute, mais au demeurant pas si sotte. La comédienne est pour beaucoup dans la réussite de cette mise en scène d'une pièce dont l'objet est avant tout le rire. Et on y rit en effet beaucoup - même si à mon goût, Stéphane Varupenne campe là un Horace un peu en-dessous.

Si vous le pouvez, il faut aller absolument à l'Odeon voir cette pièce - avant le 29 mars -, ne serait-ce que pour voir et entendre Lyn Thibault jouer avec brio la tant savoureuse scène du "petit chat est mort", devant un Daniel Auteuil qui n'en finit pas de tomber magistralement des nues. ...

"L'Ecole des femmes" : Molière / Jean-Pierre Vincent

...

Mais je ne résiste pas à reproduire ici un... non, deux extraits de cette fameuse scène à l'entrée de laquelle Agnès annonce que "le petit chat est mort" en réponse à Arnolphe qui lui demande les nouvelles de la maison, l'ingénue laissant entendre par là qu'il ne s'est en réalité pas passé grand chose durant l'absence de son maître et futur époux qui craint déjà pour ses cornes - pas grand chose, si ce n'est :

...
Qu'avez−vous fait encor ces neuf ou dix jours−ci ? ...
Etoit en mon absence à la maison venu, ...
Mais je n'ai point pris foi sur ces méchantes langues,
Et j'ai voulu gager que c'étoit faussement...

...
Il n'a presque bougé de chez nous, je vous jure.

Arnolphe, à part. ...
Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne, ...
Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi.

...
Moi pour ne point manquer à la civilité, ...
Moi, j'en refais de même une autre en diligence ; ...
D'une troisième aussi j'y repars à l'instant. ...
Tant que, si sur ce point la nuit ne fût venue, ...
Qu'il me pût estimer moins civile que lui.

...
Tout cela n'est parti que d'une âme innocente ; ...
Un peu plus fort que jeu n'ait poussé les affaires.

...
Est−ce que c'est mal fait ce que je vous ai dit ? ...
Et comme le jeune homme a passé ses visites.

...
Comme il perdit son mal sitôt que je le vi,
Le présent qu'il m'a fait d'une belle cassette, ...
Vous l'aimeriez sans doute et diriez comme nous...

...
Il juroit qu'il m'aimoit d'une amour sans seconde, ...
Et dont, toutes les fois que je l'entends parler, ...

Arnolphe, à part. ...
Et de me les baiser il n'étoit jamais las.

...
Ne vous a−t−il point pris, Agnès, quelque autre chose ? ...
Qu'est−ce qu'il vous a pris ? ...

Arnolphe, à part. ...
Il m'a pris le ruban que vous m'aviez donné.
A vous dire le vrai, je n'ai pu m'en défendre.

...
S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras.

...est−ce qu'on fait d'autres choses ? ...

L'Ecole des femmes, Acte II, scène V, extraits.