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Encore un article sur cette romancière...Mais quand on aime on ne compte pas!Voyez-y une frénésie, un radotage de ma part... ou un signe à interpréter: procurez-vous ses oeuvres.
Quelques mots sur Colette...
L'enfance de Sidonie Gabrielle Colette, née en Bourgogne à Saint-Sauveur en Puisaye, est marquée par la personnalité de sa mère "Sido". Cette dernière est évoquée notamment dans les souvenirs romancés qui portent ce titre.Mariée jeune à Willy, écrivain parisien qui signe la série des Claudine, écrite par elle, Colette affirme ensuite son indépendance et acquiert la célébrité par ses nombreux romans, souvent d'inspiration biographique, qui exaltent la vie et explorent la psychologie amoureuse en dénonçant l’égoïsme masculin.
Les écrits de Colette sont éclectiques et ils sont à l'image de la romancière qui s'illustrait dans de nombreux domaines: le journalisme, le music-hall, l'écriture romanesque...
J'ai déjà parlé dans ce blog de son roman La Seconde: ici.
Et pas plus tard qu'avant-hier, de ses récits brefs (anecdotes, brèves, chroniques,;etc) : Contes des mille et un matins, là:
De la même façon, le roman L'Entrave évoque ces différents univers.
L'Entrave.
L'entrave, c'est l'obstacle qui est personnifié par le personnage principal de Renée Nérée. Elle est à la fois l'entrave et l'entravée.
Elle est la maîtresse délaissée de Maxime Dufferein-Chautel. Elle est la valeur ajoutée dans cette relation triangulaire, la partie de plaisir délestée de la profondeur amoureuse.
"Ce n'est pas d'amour que je tremble, ni de chagrin. Quelle est, dans mon trouble, la part du regret? Je ne sais. Le choc, l'éclair, viennent de me donner la sensation de ma fragilité, bien mieux que la rêverie maniaque, où quotidiennement je m'abuse sur ma sagesse."Cynique, désabusée et lucide. Elle a conscience de sa condition jamais officielle et toujours entre deux rives, entre deux vies, elle est "l'entrevue sans effusion, livrant l'échine" (E.F)Elle devient sa propre entrave dans la mesure où elle reste accrochée à cette passion éprouvée, à cette passade réprouvée par ce Maxime, se refusant sentimentalement aux autres hommes.Renée fait illusion: elle fait comme si elle ne ressentait rien. Elle feint l'indifférence pour pouvoir donner le change. Ex-Danseuse de music-hall, elle ne représente alors qu'une façade superficielle et charnelle. Ainsi fardée, elle peut s'offrir aux regards sans vergogne ni retenue.
Elle est souvent accompagnée de May, une jeune danseuse dévergondée, viciée qui représente la débauche. May fume, boit, se drogue, offre son corps au premier venu, et plus particulièrement à Masseau, un brave type peu déluré, aux allures campagnardes mal dégrossies. May est la représentation avilissante de la Femme en proie aux clichés et emprisonnée dans une représentation féminine futile et vaine que Renée -par extension Colette- veut pilonner à grands coups de talons aiguilles:
"Elle m'a appris qu'on peut dîner sans faim, parler sans rien dire, rire par habitude, boire par respect humain, et vivre auprès d'un homme dans la plus servile condition, avec toutes les apparences d'une indépendance effrénée. Elle n'ignore pas les crises de neurasthénie, ni le spleen, mais elle connaît deux grands médecins de l'âme: la manucure et le coiffeur, au-dessus desquels il n'y a plus que l'opium et la cocaïne."Au fil de l'histoire, on voit se dévoiler une Renée dans toute sa complexité. Elle est toujours la pièce rapportée dans chaque histoire amoureuse: d'abord maîtresse du fameux Maxime, puis spectatrice du couple May-Masseau, elle deviendra rapidement la nouvelle amante de Masseau.
"Mon insomnie seule donne un peu de solennité à notre première nuit, dont les délices ont valu celles de nos après-midi[...] Nous ne connaissons ensemble que le sommeil diurne, qui s'abat brusque et s'envole de même. [...] Nous dormons souvent l'après-midi par le soleil, la pluie printanière, cependant que, dans la cuisine en sous-sol, Victor montre au ras du trottoir sa tête de rat, dès que l'on sonne, et nous garde contre un retour possible de May..."
Elle est en quelque sorte "cette fille de l'après-midi" que chante Elodie Frégé
A travers son personnage féminin, Colette rend compte de la complexité féminine dans un contexte psychologique amoureux. Renée est une femme indépendante qui refuse de se transir d'amour et de céder à la passion.
Notre protagoniste montre une certaine ambiguïté: à la fois libérée sexuellement mais complètement inhibée spirituellement et surtout sentimentalement. Elle refuse que l'Homme lise en elle, ne s'octroie pas la possibilité de se donner à l'autre. Elle est tour à tour maîtresse passionnée, amoureuse refoulée; elle a la froideur du marbre et l'incandescence de la libertine.Surtout ne rien laisser paraitre. Ne rien dire. Parce que s'avouer c'est se retrouver pieds et poings liés; c'est accepter de se soumettre au sentiment amoureux... Ce qui la rebute au plus haut point. Par peur de souffrir? Pour garder son indépendance? Sa liberté? "Je ne veux rien livrer de ma lyrique douleur."
Renée se contraint donc à s'entraver pour mieux se préserver. Une part d'elle fait obstacle dans sa relation charnelle avec Masseau: elle le désire, se laisse désirer puis le rejette. De nouveau, mue par un désir fort, elle l'accueille, résiste, s'abandonne, se retient, lâche du leste et se ravise. Colette nous montre alors la femme aux prises avec elle-même luttant contre ses désirs vicieux en vertu d'un détachement viscéral.
Et puis, contre toute entente avec elle-même, elle décide de s'abandonner physiquement et de rester auprès de Masseau puisqu'elle a le pouvoir et la capacité de livrer son corps tout en gardant la mainmise sur son esprit et rester lucide. Son truc, c'est "la réticence, le coup des yeux baissés, du sourire à la dérobée, de la main qu'on retire- en somme des moyens purement mimiques [...]"Je reste surtout pare que Masseau m'aide, avec une habileté d'aliéné, à faire renaître dans ma vie la curiosité, le goût de l'intrigue et de l'aventure, l'envie qu'on me désire- il y a place pour tout cela, dans ma vie, et pour bien pis et bien mieux encore. Je ne l'ignorais pas, mais le tout était d'arriver à l'heure, comme l'a fait ce bouffon providentiel. [...] Je reste. Une sorte d'héroïsme obtus me retient là, au bord de ma ruine. Je reste. Dors, pendant que je veille et que j'imagine placidement ton destin le plus beau: une mort miséricordieuse qui pétrifierait là, à jamais, dans la posture de ton sommeil impénétrable, l'image de mon nouvel amour."L'histoire est en somme assez banale: les histoires d'amour triangulaires sont fréquentes mais ici, le ton employé donne au texte toute son originalité. Le récit est résolument moderne pour l'époque: Colette donne un bon coup de pied aux idées bien-pensantes, à ceux qui considèrent que la femme est superflue et superficielle. Elle brosse un portrait de la Femme avec exactitude et offre toute une diversité des facettes féminines qui vont au-delà des deux figures habituelles: la Madone et la Putain. Ici, Colette nous dépeint sous toutes les formes, avec nos multiples visages et notre complexité.
"Je ne parle pas. Je manie l'arme exaspérante des faibles et des calculateurs, la patience. Je fais comme si j'avais oublié Jean. Mais il n'est pas tout à fait dupe. Pendant nos premières crises, ma désinvolture, bien imitée, d'animal qui se sait seul l'abusait complètement. [...] Je mets un soin pervers à parler et à me taire juste assez - assez pour tout gâter."
A force de désinvolture et de fausse froideur, c'est la perte de cet autre qui doit advenir. Elle n'aura pas su faire l'impasse sur son impassibilité et elle doit se résigner alors à faire le deuil d'une histoire qui a encore mal fini. Ce n'est qu'une fois que l'Autre est parti et perdu qu'il prend toute son ampleur inaltérable dont elle garde l'empreinte gravée... jusqu'au prochain.
Pourquoi j'aime Colette?- Le style est simple et sans fioritures.
- Les histoires sont intemporelles et universelles.
- La dimension psychologique (quasi pré-psychanalytique) donne une profondeur au texte.
- Le ton: à la fois désabusé et lyrique.
- La raison principale qui me fait adorer Colette: c'est que son style me parle et me plait, ses histoires peuvent avoir des résonances similaires dans ma propre existence.
- J'aime son élégance, sa capacité à raconter des histoires d'amour sans faire passer la Femme pour une cruche sentimentale.
- Elle démontre que le romantisme est une notion galvaudée et qu'il n'est pas fatalement synonyme de gnangnan.
- J'aime son féminisme qui met à mal tout sexisme et penche surtout vers l'androgynie.
- Sans conteste, je retrouve dans ses écrits tout ce que j'adore chez la formidable artiste
Elodie Frégé.
Et j'adore Elodie Frégé pour toutes les qualités sus-mentionnées.