La prémonition d'Antioche

Par Villefluctuante

1/ Problématique


Les enjeux de l’adaptation aux effets du changement climatique sont importants pour la France puisque les coûts annuels liés aux conséquences de ces effets pourraient atteindre plusieurs milliards d’euros par an si aucunes mesures d’adaptation ne venaient à être prises. Or, l’état des connaissances permet dès à présent d’agir dans le cadre du Plan national d'adaptation au changement climatique. La présente étude prend comme cas d’espèce la partie nord du département de la Charente-Maritime - avec ses côtes basses soumises à l’élévation prévisible du niveau de la mer - et s’engage dans un projet de résilience territoriale.

Nous partons d’une élévation prévisible (et théorique) du niveau de la mer de + 1,00 m en 2100 et de ses conséquences en terme de submersion définitive des terres. Rappelons pour élément de comparaison que les services de l’État prennent + 60 cm en 2100 et que le plan Delta 2015 - 2100 néerlandais part d’un scénario plus sombre de + 4,00 m sur 200 ans. Ces conséquences seront combinées avec les autres effets du changement climatique comme le manque d’eau douce et l’élévation moyennes des températures.

Face à cette problématique, nous prenons clairement partie de l’anticipation et l’adaptation des conditions urbaines aux changements annoncés. L’effort financier de la relocalisation inéluctable des activités et des biens vulnérables conduit à développer une ambition pour l’aire d’étude qui va au-delà d’un retrait de quelques centaines de mètres. Dans l’appréciation du système rivage - rétro-littoral et arrière-pays, nous pouvons penser une réurbanisation qui reconfigure une vaste zone en étant inclusive de toutes les adaptations nécessaires aux effets du changement climatique. Ce changement d’échelle de réflexion - en incluant l’hinterland - permet de débloquer de nombreux problèmes littoraux et de renforcer les solidarités entre territoires à différentes échelles.

2/ Les effets localisés du Changement climatique

Les côtes métropolitaines représentent 7 124 km linéaires et 24% de ce littoral reculent déjà du fait de l’érosion marine (malgré la présence d’ouvrages de protection des côtes présents sur 150 km linéaire). La montée prévisible et progressive du niveau de la mer, associée à l’érosion, entrainera un recul du trait de côte en général et dans le périmètre d’étude en particulier (aire urbaine de La Rochelle / Rochefort avec une extension sur l’Aunis jusqu’à Surgères, les îles de Ré et d’Oléron, et de la baie de l’Aiguillon au nord à l’estuaire de la Charente au sud). Le choix de ce périmètre a été déterminé par l’intérêt du triptyque formé par l’urbanisation côtière, l’agriculture en arrière-pays et les espaces naturels sensibles que sont les marais littoraux.

Les 6 principaux enjeux d’adaptation aux effets du changement climatique pour l’aire d’étude sont :

  1. l’adéquation entre ressource, demande et préservation de la qualité de l’eau ;
  2. le déport du trait de côte et ses conséquences sur l’urbanisme, les zones naturelles et l’agriculture ;
  3. la préservation du potentiel adaptatif de la biodiversité ;
  4. un urbanisme qui répond aux objectifs d’atténuation et d’adaptation ;
  5. l’adaptation des productions agricoles et marines ;
  6. la transition touristique.

3/ Démarche prospective


 En préambule, il convient de rappeler que ces scénarios, tout comme « l’image directrice », sont des propositions illustrant le projet de fin d’étude. Dans une démarche d’atelier, ils feraient l’objet d’une négociation et d’une co-conception avec les autres acteurs du territoire.

Pour explorer les différentes tendances du territoires, 3 scénarios ont été esquissé :

  • Scénario tendanciel 1 - les « forteresses touristiques » - voyant la création d’un cluster touristique avec la mise en valeur de quatre pôles couplés à la plaisance et de nouvelles défenses côtières.
  • Scénario tendanciel 2 - l’emport - avec le développement de trois pôlarités urbaines, la désurbanisation progressive du littoral vulnérable, le développement d’une nouvelle urbanisation autour d’Aigrefeuille-d’Aunis, le tout porté par le développement des transports collectifs.
  • Scénario tendanciel 3 - isotropie de la trame verte et bleue - voyant l’amplification de la lisière, la renaturation de la bande littoral submersible à terme et le développement d’une trame paysagère à grande échelle intégratrice des transitions agricoles et urbaines.

À partir de ces 3 scénarios, une « image directrice » permet de poser le projet d’adaptation territorial aux effets du changement climatique par :

  • La mobilisation du système d’interdépendances entre le littoral, le rétro-littoral et l’arrière-pays.
  • L’abandon de la politique systématique de défense côtière, la désurbanisation puis la renaturation de la bande littorale submersible à terme avec restauration du fonctionnement naturel des milieux (à l’image du traitement actuel des zones de solidarité).
  • La restauration des fonctionnalités écologiques et du fonctionnement hydrologique des marais littoraux et des cours d’eau (avec la restauration du champ d’expansion de crues sur 20% du linéaire de ces derniers). Cette restauration s’accompagne d’une amplification de la trame verte et bleue pour former une trame paysagère assurant la liaison entre les différentes composantes paysagères du département (littoral, marais, urbanisme et agriculture).
  • La réurbanisation perpendiculairement à la côte en tenant compte des risques d’inondation et de retrait et gonflement des argiles (RGA) avec une densification des bourgs et villages existants pour former une nouvelle armature urbaine (passant d’une moyenne de 13 à 35 logements par hectare bâti) et une adaptation des bâtiments aux nouvelles conditions climatiques. La reconstitution des 18.600 logements (dont 9.200 résidences principales) affectés par la montée du niveau de la mer s’effectuera progressivement dans l’arrière-pays. Enfin, la désimperméabilisation des sols urbains s’opérera par la création de zones d’infiltration d’eau.

Les intentions issues de l’image directrice sont phasées dans le temps entre 2015 et 2100.

4/ Organisation générale du projet


Le rôle de services de l’État n’est pas de « dessiner » un projet d’aménagement mais de mettre en place son cadre d’élaboration et de réception. La mise en place de cette réflexion prospective pour la nécessaire adaptation de l’aire d’étude - à l’horizon 2100 -procède de la stratégie « du coup d’avance » et est susceptible de fédérer les acteurs locaux sur un objectif lointain. 

Dans la présente étude, il est proposé que le projet d’adaptation territoriale au changement climatique soit initialement porté par un atelier régional de prospective. Sur le modèle de la démarche d’atelier national porté par la DHUP, l’atelier réunirait les collectivités concernées et leurs groupements, les services de l’État et les autres organismes publics. Il confrontera les avis des différents acteurs pour aboutir à la co-construction d’un scénario partagé, appelé « image directrice » (pour sa représentation non prescriptive spatialisant les risques, les enjeux et les intentions). De même, il déterminera un programme d’intentions stratégiques à développer

À l’issue de la démarche d’atelier, il est proposé la mise en place d’un groupement d’intérêt public (ou de tout autre entité mixte dans le contexte actuel de réforme territoriale) entre les collectivités et les services de l’État pour observer le trait de côte et les effets du climat. Ce groupement aurait pour missions l’amélioration les connaissances, le suivi des enjeux et l’actualisation si besoin du projet d’adaptation. Il sera force de proposition pour préfigurer un futur projet de territoire à l’échelle de l’aire urbaine La Rochelle / Rochefort / Surgères.

5/ Intégrations


L’intégration du programme d’intentions stratégiques issu de l’image directrice se fera selon 3 axes :

  1. L’intégration du projet et des différents enjeux d’adaptation au changement climatique dans les documents de planification et en particulier des les SCoT pour que les mesures d’adaptation soient coordonnées et complémentaires avec celles relatives à l’atténuation. Un Schéma de cohérence paysagère sera intégré dans les documents de planification pour porter plus spécifiquement la trame paysagère ;
  2. La mise en œuvre d’une trame paysagère de transition pour amplifier la trame verte et bleue actuelle et donner un cadre spatial à la réurbanisation. Progressive, cette trame génératrice fera l’interface entre les milieux urbains, naturels et agricoles tout en accompagnant les transitions urbaines et agricoles. Elle assurera aussi la renaturation préventive de la bande littorale vulnérable à la montée du niveau de la mer et marquage des lisières.
  3. L’accompagnement du projet d’aménagement par une politique foncière relative à la préservation des espaces naturels, à l’acquisition des biens vulnérables à la montée du niveau de la mer ainsi que du foncier nécessaires aux opérations de renouvellement urbain et d’extension de la réurbanisation. Concernant plus spécifiquement le foncier urbanisé littoral vulnérable, il s’agira de viser l’anticipation par abandon, délaissement et déconstruction des biens bâtis sur la frange littoral exposée par modulation de la capacité d’accueil de la loi Littoral et démembrements successifs du droit de propriété. Concernant le foncier rétro-littoral à restucturer, il s’agira de procéder à l’acquisition de parcelles en vue de réaliser des remembrements urbains pour des opérations d’ensemble et d’anticiper la consommation foncière de terrains non-bâtis, en particulier pour les infrastructures de transport accompagnant le basculement de l’urbanisation. 

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