Simplification de la vie des entreprises : vers l'extension du domaine du rescrit

Publié le 09 juillet 2014 par Arnaudgossement

Le Gouvernement vient de déposer à l'Assemblée nationale un projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises. L'article 3 de ce texte propose d'étendre le dispositif du rescrit qui permet d'obtenir de l'administration une prise de position sur l'interprétation d'une norme. Une excellente mesure qui ne devrait cependant et malheureusement pas concerner le droit de l'environnement ou le droit de l'urbanisme.


Le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises comporte une mesure très intéressante à son article 3 : l'extension du domaine du rescrit. Le rescrit est une procédure, qui permet d'obtenir de l'administration qu'elle prenne position sur l'interprétation et les conditions d'application d'une règle de droit, position qui lui sera ensuite opposable. Une procédure bien utile face à l'augmentation du nombre des normes applicables, à leur complexité et à leurs contradictions.

Le rescrit en matière fiscale

Le rescrit existe aujourd'hui en matière fiscale. L'article L80 A du Livre des procédures fiscales précise en effet :

"Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales."

L'article L.80B du Livre des procédures fiscales apporte les précisions sur cette procédure appelée ici de "garantie".

Depuis plusieurs années, il est question d'étendre le dispositif du rescrit à d'autres secteurs que la législation fiscale. Certes, tout administré, toute entreprise a déjà la possibilité d'adresser à l'administration une demande d'interprétation ou de précision sur une norme. A titre personnel, en tant qu'avocat, j'écris presque chaque jour à l'administration pour demander confirmation de telle ou telle interprétation. Reste que l'administration n'est pas contrainte de répondre dans un délai donné (trois mois pour le rescrit fiscal) et que la réponse, lorsqu'elle est rédigée, n'offre pas la même garantie que le rescrit. Dans le cas du rescrit, la réponse de l'administration vaut prise de position officielle de l'Etat, l'engage et lui est opposable, notamment devant les Juges.

Pour l'heure, hors le droit fiscal, le seul moyen d'obtenir une position de l'administration susceptible de l'engager demeure la question parlementaire. Chaque jour, les parlementaires sont destinataires de demandes de la part des citoyens ou des entreprises, tendant à ce qu'ils posent par écrit une question à un ministre sur tel ou tel problème, tenant souvent à l'interprétation ou à une difficulté d'application d'une norme. La réponse ministérielle peut être utilisée voire opposée à l'administration.

Le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises

Ce projet de loi comporte un article 3 qui, s'il est voté, habilitera le Gouvernement à étendre la procédure du rescrit à d'autres matières que la matière fiscale.  

L'exposé des motifs du projet de loi précise :

"L'article 3 permet au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures de niveau législatif propres à permettre le développement de mécanismes renforçant la sécurité juridique des usagers, tels que le rescrit.

Apprécié par les usagers, et en particulier par les entreprises, cet instrument de nature à accroître la sécurité juridique de leurs projets s'est d'ores déjà beaucoup développé, en particulier dans le domaine fiscal et douanier. Ainsi que l'a fait apparaître la récente étude « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets » établie par le Conseil d'Etat sur la demande du Gouvernement, de nouvelles perspectives de progrès de ces pratiques existent, tant par leur extension à de nouveaux champs de l'action administrative que par un effort de définition du cadre juridique applicable à ce mécanisme de prise de position de l'administration en amont de procédures parfois complexes.

L'habilitation sollicitée doit permettre leur développement dans de nouveaux champs de l'action administrative."

Les matières concernées par l'extension de la procédure du rescrit

Disons le tout de suite : le Gouvernement n'envisage pas pour l'heure de généraliser la procédure du rescrit mais de limiter le dispositif à certaines matières.

L'article 3 du projet de loi dispose en effet

"Les garanties mentionnées au 1° et au 2° ne peuvent concerner que l'application des dispositions du code du travail, du code rural et de la pêche maritime, du code de la consommation, du code du patrimoine, du code général de la propriété des personnes publiques, des dispositions relatives à des impositions de toute nature ou à des cotisations sociales ainsi que des codes et dispositions spécifiques à l'outre-mer dans les domaines couverts par ces codes."

Code du travail, code du code de la consommation, code du patrimoine, code général de la propriété des personnes publiques : le code de l'environnement ou le code de l'urbanisme ne sont pas pour l'heure concernés. Ce qui est particulièrement regrettable. Rien ne justifie que la procédure de garantie ne soit pas étendue à l'interprétation des normes environnementales ou urbanistiques, de plus en plus nombreuses et compliquées. L'extension de cette procédure au droit de l'environnement ou au droit de l'urbanisme contribuerait à la clarté, à l'acceptabilité, à la compréhension, à la prévisibilité et, partant, à une meilleure application de ces droits.

L'extension au droit de l'environnement avait été discutée lors des Etats généraux de la modernisation du droit de l'environnement dont j'avais pu assurer le copilotage à la demande de la Ministre de l'écologie d'alors, Delphine Batho. Des Etats généraux malheureusement arrêtés trop tôt après avoir accouché d'une "feuille de route" sans intérêt. Mais qu'il conviendrait de reprendre. En ayant toutefois conscience que l'extension du domaine de la procédure du rescrit suppose de renforcer considérablement le nombre des juristes de haut niveau, présents dans les administrations interrogées. 

La future procédure de garantie

Cette précision étant faite sur le champ d'application de la future procédure de garantie, l'article 3 du projet de loi apporte les précisions suivantes.

En premier lieu, l'article 3 du projet de loi définit tout d'abord l'objet exact de ce serait cette procédure de garantie :

"I. - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi ayant pour objet :

1° De permettre à une autorité administrative au sens de l'article 1er de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 d'accorder, aux personnes qui le demandent, une garantie consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à leurs situations de fait ou à leurs projets. Cette garantie a pour objet de prémunir le demandeur d'un changement d'interprétation ou d'appréciation de l'administration qui serait de nature à faire naître une créance de l'administration à son encontre, à l'exposer à des sanctions administratives ou à compromettre l'obtention d'une décision administrative postérieure nécessaire à la réalisation de son projet ;"

En deuxième lieu, l'article 3 précise quelle serait la durée et la portée de cette garantie :

"2° De permettre à une autorité administrative de garantir, aux personnes qui le demandent et pendant une durée déterminée qui ne saurait excéder dix-huit mois, que leur seront appliquées, pour la délivrance d'une décision administrative nécessaire à la réalisation de leurs projets, certaines dispositions législatives ou réglementaires dans leur rédaction en vigueur à la date d'octroi de la garantie ;"

En troisième lieu, l'article 3 appelle le Gouvernement a préciser de quels recours les "garanties" de l'administration pourraient faire l'objet :  

"3° De préciser les conditions dans lesquelles le juge administratif peut être saisi d'un recours contre les actes octroyant les garanties mentionnées au 1° et au 2° et contre les éventuelles décisions administratives prises à la suite ces actes, ainsi que ses pouvoirs lorsqu'il est saisi de tels recours".

Enfin, l'article 3 donne quelques précisions sur le déroulement de la procédure :

"II. - Les garanties mentionnées au 1° et au 2° du I :

1° Doivent être accordées sur la base d'un dossier préalable présenté à l'administration et décrivant loyalement la situation de fait ou le projet en cause ;

2° Peuvent être accompagnées, le cas échéant, d'un engagement de l'État sur les délais dans lesquels les décisions administratives nécessaires à la réalisation du projet en cause pourront intervenir ainsi que d'informations sur les procédures d'instruction des demandes correspondantes, notamment la description des procédures applicables et les conditions de régularité du dossier. Cet engagement et ces informations sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration ;

3° Peuvent être remises en cause pour l'avenir dans des conditions précisées par les ordonnances à intervenir ;

4° Sont délivrées dans le respect des exigences de l'ordre public et de la sécurité publique, des engagements internationaux et européens de la France et des principes de valeur constitutionnelle."

En conclusion, l'extension de la procédure du rescrit à d'autres domaines que le droit fiscal constitue sans aucun doute une excellente mesure. Qu'il faut étendre le plus rapidement possible à des matières comme le droit de l'environnement ou le droit de l'urbanisme.

Arnaud Gossement / associé

Selarl Gosseent avocats