Billet similaire : Extraits de l’ouvrage Duplessis, son milieu, son époque
Maurice Duplessis et Mgr Charbonneau en 1945. Cette photo est emblématique de l’obscurantisme de la “Grande Noirceur” dans l’imaginaire québécois. En réalité, Duplessis avait beaucoup d’ennemis parmi le clergé, et il a fait infiltrer le Vatican pour se débarrasser de Charbonneau !
Le présent article regroupe une collection de données nous aidant à rectifier notre vision simpliste de l’histoire québécoise du XXe siècle, qui s’articule autour de la césure Grande Noirceur / Révolution tranquille, césure de plus en plus remise en question par l’historiographie professionnelle. Pour commencer, je propose ces conférences de Lucia Ferretti, historienne de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Conférence intitulée La “Grande Noirceur”, mère de la Révolution tranquille prononcée dans le cadre de la série La Révolution tranquille : 50 ans d’héritages en 2010…
Conférence intitulée Le rôle social et national de l’Église catholique prononcée dans le cadre du colloque Quelque chose comme un grand peuple en 2009…
La suite sur cette chaîne.
L’étatisme québécois des années 1930
Voici ce que nous disent trois de nos historiens les plus réputés concernant le rôle de l’État (et ce, bien avant les années 1960 !), dans un chapitre intitulé “L’État s’affirme” :
L’État s’affirme dans le domaine du bien-être social (1919). Diverses institutions de bienfaisance lancent un cri d’alarme : Des 45 000 patients reçus dans les institutions en 1919, un tiers l’étaient à titre gratuit. Par suite de cet état de chose, une crise sérieuse se produisit dans les institutions : L’hôpital Notre-Dame de Montréal déclare que si la ville n’augmente pas sa contribution, il se verra dans la pénible obligation de fermer l’hôpital et il n’est pas le seul dans ce cas ; l’hôpital Sainte-Justine, l’Institut des Sourdes-Muettes de Montréal, l’Hôpital du Sacré-Cœur et la Crèche à Québec ont également des difficultés. L’État doit donc intervenir au moyen d’une loi qui permet aux hôpitaux désireux de s’en prévaloir de donner les secours médicaux nécessaires aux personnes défavorisées et répartit les frais en trois parties : un tiers au gouvernement provincial, un tiers à la municipalité où réside l’indigent et un tiers à l’institution d’assistance.
Référence : D. Vaugeois, J. Lacoursière, J. Provencher, Canada-Québec, 1534-2000, Sillery, Septentrion, 2001, p. 163-164.
Commentaire glané sur ce blogue : Jusque-là (1919), c’était les communautés religieuses qui s’occupaient du domaine social : hôpitaux, hospices, la misère du monde quoi. Les communautés étant dépassées par les manques de ressources font appel à l’État pour que les nécessiteux puissent recevoir des soins gratuitement. C’est donc que l’Église n’était pas si puissante qu’on le prétend… puisque c’est l’État qui tire les ficèles économiques et que l’Église doit lancer un cri d’alarme.
La vigueur économique des Canadiens-Français avant 1960
Le professeur Jacques Rouillard, du Département d’histoire de l’Université de Montréal, a écrit un article [La Révolution tranquille, rupture ou tournant ?, Revue d'études canadiennes, Vol 32, No 4, hiver 1998, p. 23-51] résumant bien les études qui infirment la thèse des sociologues [progressistes]. À la veille de la Révolution tranquille, le Québec n’a rien d’une société sous-développée. La moitié des francophones occupent un emploi… dans le secteur des services ! Dès 1931, le recensement montre que peu de gens vivaient encore de l’agriculture et que les 2/3 de la main-d’œuvre travaillaient dans le secteur secondaire (manufacturier) ou tertiaire (services). L’industrie manufacturière avait toujours crû ici au même rythme qu’en Ontario, et ce depuis la Confédération. Durant tout le 20e siècle, la proportion de travailleurs québécois œuvrant dans le secteur industriel est comparable aux proportions observées aux États-Unis et dans plusieurs pays européens.
On ne constate pas non plus de retard d’urbanisation dans la province. La migration vers les villes se fait à un rythme régulier depuis la fin du 19e siècle. Le Québec affiche même un taux d’urbanisation supérieur à celui l’Ontario de 1900 jusqu’à la 2e Guerre mondiale, et allait se maintenir au-dessus de la moyenne canadienne par la suite.
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La société québécoise d’avant la Révolution tranquille comptait aussi de nombreux entrepreneurs francophones dans le domaine industriel et commercial. Ils faisaient partie de l’élite au même titre que les médecins, notaires ou prêtres, mais on semble les avoir complètement oubliés aujourd’hui. Ces entrepreneurs étaient maîtres du développement économique local et régional. Dès le 19e siècle, ils se dotent d’institutions financières soutenant l’essor économique régional: banques, sociétés de fiducie, compagnies d’assurance. Les chambres de commerce foisonnent et se regroupent en fédération provinciale dès 1909. En 1935, elle comptait 49 chambres affiliées. La bourgeoisie d’affaires francophone exerçait une réelle influence dans la sphère publique [...] Elle faisait la promotion du développement industriel et de l’esprit d’entreprise auprès des francophones.
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En 1953, le Québec affichait le deuxième revenu par habitant le plus élevé au monde après les États-Unis (en excluant le reste du Canada). Avait-on réellement besoin de la Révolution tranquille et de l’intervention de l’État pour sortir les Québécois de cette prétendue « Grande Noirceur » ? Absolument pas !
Référence : Le mythe de la Grande Noirceur et du Québec sous-développé, Blogue du Québécois Libre, 31 octobre 2005.
Outre les quinze années du règne de l’Union nationale, qui représente pour l’historiographie gauchiste biaisée le paroxysme de la « Grande Noirceur », cette même historiographie gauchiste fait formellement débuter la « Grande Noirceur » en 1840, avec l’union forcée des Bas et Haut Canadas. Mais la situation au Québec mérite-t-elle vraiment l’appellation dénigrante de « Grande Noirceur » ? Quelques éléments de réponse…
Augmentation fulgurante de l’alphabétisme au XIXe siècle
Les communications avec l’extérieur se sont développées à un rythme comparable à celui des autres sociétés occidentales. […] Le Canada français du milieu du XIXe siècle ne vivait pas en marge des autres nations occidentales. Un mouvement de modernisation était à l’œuvre. […] De 1764 à 1859, 327 périodiques ont été fondés dans la vallée du Saint-Laurent. […] Les journaux canadiens étaient abonnés à des publications européennes et américaines, comme le démontrent les nombreux extraits reproduits. Dans leurs journaux, les Canadiens pouvaient suivre l’actualité internationale et être exposés aux idées des grands penseurs du siècle. Et plus on avançait dans le XIXe siècle, plus les lecteurs étaient nombreux. En effet, le taux d’alphabétisation des Canadiens n’a cessé de croître tout au long du XIXe siècle, passant de 21% pour la décennie 1820-1829 à près de 53% cinquante ans plus tard. Cette croissance n’a pas touché seulement l’élite, mais aussi les enfants des agriculteurs (de 11,2% à 48,6% pour la même période) et des journaliers (de 13,8% à 21,9%) […] De son côté, la classe politique canadienne avait doté la Chambre d’assemblée d’une bibliothèque dès 1802, ce qui en avait fait l’une des premières institutions du genre en Occident (p. 21-22, voir référence infra).
Acceptation de la démocratie parlementaire
Accordé par l’Acte constitutionnel de 1791 et renforcé par l’obtention du gouvernement responsable en 1848, le droit à la représentation politique [par voie électorale] constituait, pour la classe politique canadienne-française du milieu du XIXe siècle, un acquis incontestable que même Louis-François Laflèche, certainement le doctrinaire ultramontain le plus important de cette époque, ne contestait pas. | Cette position était aussi celle d’Ignace Bourget (p. 24 et 340).
Acceptation de la distinction entre l’Église et l’État
Aux yeux des réformistes, aucune des deux sphères, matérielle et spirituelle, ne doit dominer l’autre ou la prendre en otage. Chacune a été conçue et voulue par le Créateur, chacune doit donc tendre vers des fins plus élevées (p. 214-215).
Référence : Éric Bédard, Les Réformistes — Une génération canadienne-française au milieu du XIXe siècle, Montréal, Boréal, 2009.
Le nationalisme ethnique modéré pré-Duplessis
Voici ce qu’affirmait Mgr Louis-François Laflèche (1818-1898), l’évêque de Trois-Rivières à partir de 1870 et la deuxième personnalité ultramontaine en importance au Québec au XIXe siècle après Ignace Bourget (et allié de celui-ci), dans Quelques considérations sur les rapports de la société civile avec la religion et la famille (1866) :
Au point de vue national, ils [les immigrés au Québec] ne sont plus ce que la naissance les avait faits, Allemands, Écossais ou Irlandais, mais ils sont Canadiens, c’est-à-dire que l’éducation les a faits. [...] L’éducation encore plus que la naissance fait la nationalité. [...] Une famille canadienne-française où l’on ne parle plus la langue français, où l’on n’est plus catholique, où l’on a adopté les mœurs et coutumes des Américains, à quelle nationalité appartient-elle ? Que lui reste-t-il de la nationalité de ses ancêtres ? Rien. Ils sont Américains et nullement Canadiens.
Et voici ce que le chanoine Lionel Groulx, le théoricien du nationalisme ethnique par excellence du Canada français, avait à dire dans une allocution qu’il prononça le 5 décembre 1936 :
Nous ne plaçons pas l’essence ni la grandeur de la nationalité dans le fétichisme du sang ou de la race ; chrétiens, catholiques, nous les plaçons dans la justesse et la finesse de la raison, dans la grandeur morale de la volonté, dans la hauteur spirituelle de l’âme et de la culture.
Dans La Naissance d’une race, nous voyons que Groulx ne hiérarchisa jamais les races ; tel que le faisaient ses contemporains, il utilisait le terme « race » comme un synonyme de « peuple » ou de « nation ». Dans Mes Mémoires, Groulx insiste n’a jamais défini la racialité « uniquement sur le sang, à la façon animale ou biologique ».
Référence : Éric Bédard, Recours aux sources — Essais sur notre rapport au passé, Montréal, Boréal, 2011, p. 166-169.