La thèse de Rudolph était que la vie l'amour l'amitié et la filiation ne tenaient qu'à un cheveu. Autrement dit, tout pouvait basculer si tout n'était pas réglé au millimètre près. Et bien sûr, cette bascule entraînait chaque individu , chaque couple, chaque famille dans la mésentente et parfois la tragédie.
Grâce à Gustave Machin, Marie Marron découvrait l'horreur du monde et s'en régalait.
Si Marie, jeune fille un peu gourde, n'avait pas croisé le chemin de Gustave, un petit être plein de hargne qu'on aurait pu croire tout droit sorti d'une forêt maléfique, rien de tout ça ne serait arrivé. En fait, si Marie n'était pas devenue orpheline elle n'aurait jamais habité chez sa tante Hortense dans cette commune si petite que les habitants (et même Josette) finissent ratatinés, et, du coup n'aurait jamais croisé le chemin de Gustave. De ce fait, il n'aurait jamais essayé ce qu'il a essayé, n'aurait jamais entrepris de séduire la secrétaire du maire ni de commettre avec elle ce que peu de gens sur terre se permettraient de commettre. Il n'aurait pas atterri là où il a atterri, n'aurait pas croisé, puis décroisé les vœux d'une jeune religieuse, n'aurait pas tenté de faire de l'alambic de carottes pour transmettre son savoir.
Si Marie ne travaillait pas quelques heures au cabinet du dentiste de ladite commune, jamais l'on n'aurait entendu parler du fils de ce dernier, Maurice, étudiant une matière qui ne sert à rien et qu'il n'arrive même pas à expliquer : la philologie, ni de Maryse, sa mère, qui « avait passé sa vie à tout revoir à la baisse, c'était comme ça, » et qui finirait ratatinée au milieu de gens ratatinés dont les rêves avaient toujours été ratatinés, et puis voilà tout », et qui n'aurait pas fini elle non plus à l'Institut de Récupération (qui, au final ne récupérait que des ennuis depuis la rencontre de Gustave et Marie.)
L'on n'aurait pas plus entendu parler de Joséphine, l'ex-camarade d'amphithéâtre de Maurice, ni de son futur ex-petit ami Rudolph, ingénieur providentiel de son état, qui, faute de mieux, saccagera l'intérieur de tante Hortense aussi violemment qu'une bourrasque (elle qui ne supportait jusqu'alors pas le moindre courant d'air).
Et encore moins de Josette, la prostituée ratatinée entre une usine de poix et une cidrerie, qui, pour pas grand chose, ne disait jamais non, rendait service pour presque rien, et qui aimait la gentillesse et le fromage, mais surtout les pâtisseries.
Bref, si Marie Marron et Gustave Machin ne s'étaient pas rencontrés, ce « joyeux bordel » - pas si joyeux que ça, au final, où chacun passe de l'ombre à la lumière et réciproquement, où les rideaux tombent, où certains voiles se lèvent, et quand l'un jette l'ancre, l'autre prend le large – n'aurait jamais existé.
Note : Drôlement subjonctive !