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L'amour d'une belle et très jeune indienne

Publié le 08 juillet 2014 par Dubruel

~CHÂLI (d'après Maupassant)

L’amiral de la Vallée, Assis sur le canapé, Nous raconta d’une petite voix : -« J’ai eu, moi, Une aventure d’amour très singulière. Elle ne date pas d’hier. À l’époque, autant que je m’en souvienne, J’étais lieutenant de vaisseau À bord d’un vieil aviso Qui patrouillait au large des côtes indiennes.

On me chargea d’une mission à Kola, Ville gouvernée par le rajah Madhina. Le prince m’attendait. Cet indou aux yeux écartés, Aux pommettes saillantes Et aux dents éclatantes Portait sur son front l’étoile de Delhi, Signe distinctif de la dynastie Des Mandore de Pariharan Dont mon hôte était un descendant.

Il ordonna de me conduire Au Couch-Mahal, le palais du plaisir, Où j’habiterai. Ce palais plongeait dans le Vahara, Un lac sacré.

Le lendemain, j’achevais ma toilette Quand un dignitaire, Haribada, Vint m’annoncer le début de la fête Organisée en l’honneur de mon arrivée. Ce n’est que le soir Tard Que je pus commencer à travailler.

Le prince me comblait de présents. Il m’offrait de nombreux divertissements : Un combat de lutteurs Qui le faisait tressaillir de bonheur, Des jongleries, des danses de Bayadères… Que cette Cour était hospitalière ! Un matin, Haribada m’apporta Un nouveau cadeau du Rajah, Dont, d’après lui, je devais être privé : Six très jeunes filles rangées Comme une brochette d’éperlans. La plus âgée avait peut-être quinze ans, Et la plus jeune, six ans. Je devinai l’attention du Rajah. C’était un harem dont il me faisait présent. Il l’avait choisi jeune car, là-bas, Plus le fruit est vert, plus il est estimé.

Je demeurais gêné Et honteux Face à ces puériles beautés qui me regardaient Avec leurs beaux et grands yeux. Je n’avais aucune envie de les garder Mais on ne rend pas Au Rajah Un de ses présents. Ce serait considéré comme offensant. Il fallait donc installer chez moi ces enfants. Attendant mes instructions, Elles restaient debout, me dévisageant, Cherchant dans mon œil à lire mes intentions. Oh ! Le maudit cadeau, comme il me gênait ! Je demandai à l’aînée : -« Comment t’appelles-tu ? » Elle me répondit : -« Châli. » -« Pourquoi es-tu ici ? » -« Pour faire ce qu’il te plaira d’exiger de moi. » Elle savait ce que je pouvais exiger !

Je fis asseoir les filles autour de moi Et me mis à leur conter Une histoire de génies. (Je parlais Leur langue assez bien.) Elles frémissaient pour des détails de rien. Quand j’eus terminé, Je leur fis apporter Des fruits, des sucreries, Des confitures et des pâtisseries. Puis j’organisai des jeux pour les amuser. L’un d’eux eut un grand succès : Avec des bâtons, J’avais fait un pont. Les bambines passaient dessous lentement, En poussant des rires assourdissants. J’ai joué au papa avec ces poupées Pendant huit jours ! Nous avions d’admirables tours : Cache-cache, main chaude, chat perché…

Puis une nuit, Je ne sais comment cela se fit, Châli devint ma femme pour de vrai. C’était un petit être doux, timide et gai Qui m’aima d’une ardente affection Et que j’aimais avec honte et hésitation. Tel un père, je la chérissais. En homme viril, je la caressais. Depuis, Châli ne m’a plus jamais quitté. Tandis que les autres filles jouaient dans le palais, Nous passions ensemble toutes les journées. Que d’heures vénérées ! Et en soirée, J’emmenais Châli Sur la galerie Qui dominait le lac Vihara. Je la prenais dans mes bras Et baisais ses lèvres longuement.

Le prince continuait à m’accabler de présents. Un jour, je reçus une boîte emplie de coquillages. Je la posais sur un meuble en cannage. Châli ne se lassait pas de l’admirer. Elle l’ouvrait La refermait, la caressait. Quelques jours après, Mes travaux se terminaient. Il me fallut la quitter. Ses adieux furent déchirants. Mes baisers ne servaient à rien. Elle était toute secouée par le chagrin. Tout à coup j’eus une idée, et, me levant, Je lui mis la boite dans les mains : -« C’est pour toi. Elle t’appartient. » Tout son visage s’éclaira de joie. Elle m’embrassa dix fois ! Je distribuai des baisers et des biscuits Aux autres fillettes, et partis.

Deux ans s’écoulèrent. Puis les hasards du service en mer Me ramenèrent à Bombay. Je rendis visite au prince Madhina Et voulus revoir ma chère petite Châli Que j’allais sans doute trouver bien changée.

Je fis appeler Haribada : -« Sais-tu ce qu’est devenu Châli Que le rajah m’avait donnée ? » -« Il vaut mieux ne pas en parler. » -« Pourquoi ? » -« Elle a mal tourné » -« Comment, Châli ? » -« Je veux dire qu’elle a mal fini. » -« Mal fini ? » -« Oui, elle est décédée. Elle avait commis une vilaine action. » -« Une vilaine action ? Qu’a-t-elle fait ? Que lui est-il arrivé ? » L’homme, embarrassé, murmura : -« Ne me le demandez pas. » « Si, je veux savoir. » -« Elle avait volé. » -« Comment, Châli ? Qui a-t-elle volé ? » -« Vous, seigneur ! » -« Moi ? Impossible. C’est une erreur. » -« Elle vous a pris le coffret Que le prince vous avait donné. » -« La boite en coquillages ? Mais… Je la lui avais donnée ! » -« Oui, en effet, elle a juré Par tous les serments sacrés Que vous la lui aviez donnée. Le Rajah n’a pas cru que vous auriez pu offrir À une esclave un cadeau du roi Et il l’a donc fait punir. » -« Que lui a-t-on fait ? Dis-moi. » -« On l’a ligotée, mise dans un sac Et jetée dans le lac Depuis cette fenêtre. »

Je passai la nuit sur la galerie Qui dominait le lac, cette galerie Où j’avais tant de fois Serré contre moi ce cher petit être. Son squelette décomposé était sous moi, Là, dans un sac Au fond de ce lac ! Je repartais le lendemain Fort chagrin.


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