La page Facebook de “La logique politique”
En principe, les feuilletons télévisés participent de ces rites collectifs qui font la douceur des nuits arabes de ramadan. Pourtant, comme pour être au diapason des folles turbulences qui balaient toute la région, une série tunisienne a provoqué, la semaine dernières, une série de mouvements de protestation qui ont culminé avec une grève des gardiens de prison. En cause, Maktoub (Destin), une série qui, depuis ses débuts en ramadan 2008, connaît toujours un grand succès auprès du public tunisien. Ce dernier est en effet heureux de suivre des péripéties « socio-sentimentales » qui tranchent quelque peu avec le médiocre ronron de la production ordinaire nationale. Fidèle à sa ligne réaliste, Maktoub, pour les épisodes du cru 2014, proposait notamment aux téléspectateurs un voyage dans les geôles tunisiennes. Au menu l’ordinaire de ce qu’on trouve dans ce genre d’endroit : surpopulation, violence, corruption, trafics de tout genre pour une meilleure gamelle, un téléphone, un peu de drogue… Rien que de très banal mais suffisant, toutefois, pour susciter la colère des matons qui se sont sentis « humiliés » par un récit visiblement trop réaliste.
Cela tient, très certainement, à l’expérience du réalisateur, Sami Fehri, « mis à l’ombre » pendant plus d’une année (ce qui explique que Maktoub, entamé il y a six ans, n’en soit qu’à sa quatrième saison). Durant l’été 2012, il avait en effet été emprisonné sous l’inculpation de « complicité de détournement de fonds publics » pour des contrats passés entre la télévision nationale et Cactus, sa société de production pour laquelle il avait comme associé un certain Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l’ancien président (le genre de concession parfaitement indispensable pour faire du business dans la Tunisie de l’époque). Mais comme cette arrestation intervenait quelques jours après l’interdiction de l’émission phare de Sami Fehri, Al-lûjîk al-siyâsî (La logique politique), un remake à la sauce locale des Guignols de l’info, nombreux étaient ceux qui avaient vu dans cette embastillement un épisode supplémentaire des pressions subies par les acteurs médiatiques trop rebelles aux quatre volontés du parti alors tout puissant Ennahda. Des soupçons confirmés, pour beaucoup, par de longues tribulations juridiques, s’achevant – même si la procédure judiciaire se poursuit encore – par la libération de Sami Fehri en septembre dernier, juste à temps pour mettre en chantier la nouvelle série de Maktoub, avec les fameux épisodes sur la vie carcérale locale…
Mais en Tunisie comme partout dans le monde arabe (et ailleurs…), la volatilité des dossiers politiques se double de très sensibles enjeux économiques. Evoquée dans cet article du Monde , cette affaire politico-médiatique n’était certainement pas sans lien avec la rivalité acharnée qui opposaient, y compris sur le « concept » des Guignols de l’info à la tunisienne, les propriétaires de la chaîne privée Nessma à Sami Fehri, en tant que créateur d’Ettounsiya, une chaîne rivale lancée peu après le départ précipité de Ben Ali et donc sans le « soutien » de son beau-frère, Belhassen Trabelsi…
Deux ans après, les téléspectateurs tunisiens se sont prononcés. En l’absence d’audimat totalement crédible, les statistiques des recherches sur Google offrent une bonne indication des choix du public. Et sur ce plan, protestations des matons ou pas, les requêtes pour Nsibti Laaziza, la sitcom ramadanesque de Nessma se traînent loin derrière les recherches pour visionner les derniers épisodes de Maktoub IV. Un verdict sans appel !