Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 15. thot et la perception du palmier -doum au sein des croyances phyto-religieuses égyptiennes

Publié le 08 juillet 2014 par Rl1948

Ô Thot, place-moi dans Hermopolis,

ta ville où il est doux de vivre,

tandis que tu me donnes mon nécessaire en pain et bière (...)

Ô grand palmier-doum de soixante coudées

qui porte des noix.

Il y a des noyaux à l'intérieur des noix

et de l'eau à l'intérieur des noyaux.

Ô toi qui amènes l'eau dans un lieu éloigné,

viens et sauve-moi, qui suis un silencieux.

Ô Thot, fontaine d'eau douce à l'homme altéré dans le désert !

      Prière à Thot

Papyrus Sallier I, 8, 2-6

dans André BARUCQ et François DAUMAS,

Hymnes et prières de l'Égypte ancienne

 Paris, Éditions du Cerf, 1980,

pp. 359-60.

     Pour la dernière fois avant que tous, amis visiteurs, nous nous égaillons dans la nature des vacances estivales qu'ÉgyptoMusée s'offre et vous offre, je vous propose d'entrer avec moi dans la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. 

     Certains d'entre vous l'auront peut-être supputé mardi dernier quand au moment de nous séparer, j'ai annoncé un troisième et ultime rendez-vous consacré à un dieu important qui, lui aussi, fut en étroite relation avec le palmier-doum : c'est bien de Thotdont il s'agira aujourd'hui. Mais avant de tout naturellement diriger nos pas vers la sixième des vitrines dans laquelle, depuis mars 2014, nous découvrons les unes après les autres les pièces exposées côté Seine, et notamment un des différents fruits disposés sur l'étagère accrochée à la gauche de son panneau central, ainsi que dans la coupelle 13 du socle-vitré 9 : la noix-doum, j'aimerais que nous nous arrêtions un instant, un instant seulement, ici à l'entrée devant la première vitrine, sur notre droite.   

      

     Certains d'entre vous s'en souviendront peut-être, c'est le 27 octobre 2009 que nous nous étions penchés surun des ostraca figurés mettant un singe en scène.

(Louvre E 27666 - © Christian Décamps)

     Mais quel rapport, seriez-vous en droit de me demander, existe-t-il entre le fragment de calcaire examiné voici plus de quatre ans et demi et notre rendez-vous de ce matin ?

     Si vous avez pris la peine de relire mon intervention d'alors, vous aurez compris que ce petit ostracon peint donnait à voir une scène éducative : un jeune Nubien dresse l'animal à grimper dans un arbre, vraisemblablement aux fins d'en cueillir les drupes, dont, par ailleurs, il était très friand.

          L'arbre, c'est un palmier et la grappe dessinée, un ensemble de noix-doum.

     Concevez qu'est sempiternel dans le chef d'un artiste égyptien de s'inspirer d'une scène de la vie quotidienne aussi concrète que celle-là pour matérialiser une relation hommes-dieux. Concevez également que, dans ce cas d'espèce, le babouin, dont le palmier-doum fut un des habitats naturels, constitue l'animal sacré de Thot, son hypostase, pour m'exprimer dans le langage des savants. Concevez enfin que ce type d'arbre fut emblématique de ce dieu, comme il l'était de Min et de Taouret.

     Loin de moi, ici, car point n'est le but de mon propos, l'envie de souligner toutes les compétences, toutes les attributions que les croyances égyptiennes conférèrent à Thot, l'"invention" de l'écriture n'étant pas la moindre d'entre elles.

     Qu'il soit figuré ibiocéphale (sous forme d'ibis) ou cynocéphale (sous forme de singe), ce dieu eut à gérer des rôles nombreux et variés : les temples ptolémaïques, véritables conservatoires de la mémoire mythique, comme les définit l'égyptologue française Bernadette Menu, en attestent si l'on veut bien prendre la peine d'y lire les différentes épiclèses qui le caractérisent. 

     D'où la complexité de l'appréhender sous toutes ses facettes.

     Il est maintenant pour vous avéré que le palmier-doum et les petits singes qui le peuplaient, s'y abritaient et s'y régalaient offrent des affinités avec Thot. Rappelez-vous : quand nous nous sommes retrouvés l'année dernière, à l'extrême fin du mois d'août au Musée royal de Mariemont, en Belgique pour l'exposition alexandrine, je vous ai rapidement raconté le mythe de la Déesse lointaine. C'est sous l'aspect d'un Thot cercopithèque que le dieu Chou ramène Hathor en Égypte, la lionne courroucée qui s'était enfuie en Nubie.

     Dans cette scène mythologique, cet arbre caractéristique des contrées nubiennes arides, des contrées éloignées du Sud, celles alors inconnues où le Nil prend sa source, connote, d'après certains papyri, le retour de la Lointaine, le retour de cette déesse Hathor, considérée en tant qu'oeil de Rê que, dès lors, ce dernier recouvra ; partant, - assimilation fréquente chez les Égyptiens -, symbolise le retour tant attendu de la crue bienfaitrice.

     En outre, et ce détail me paraît lui aussi important, le palmier en général, qu'il fût dattier ou doum, était intimement lié à la naissance de la lumière, celle du jour comme celle de la nuit, et donc à l'aspect lunaire de Thot : ainsi, notamment en tant que divinité lunaire, Thot-babouin, régit-il, en tant que Maître du Temps, les calendriers des fêtes en rapport avec les différentes phases de l'astre nocturne.

C'est aussi à partir de nervures de palmes qu'on le dit comptabiliser les années qui s'écoulent. 

     

     De sorte que dans le parcours d'un défunt pour accéder à l'éternité, Thot devient-il gage de son retour à la lumière, de son devenir lumineux.    

      Depuis la XIXème dynastie, et plus spécifiquement à l'époque ptolémaïque, la vignette du chapitre 147 du Livre pour sortir au jour (plus communément appelé Livre des Morts), propose-t-elle un génie cynocéphale accueillant le trépassé une palme à la main.

     C'est d'ailleurs ce que veut signifier cette statuette en faïence siliceuse (N 4104) de 5, 65 centimètres de haut que nous avions précédemment croisée dans la vitrine 3 de cette même salle. 

           Ce type de statuette de babouin tenant une palme occupe incontestablement une place que vous ne pouvez plus ignorer dans les conceptions funéraires égyptiennes. Il en est de même quand, comme à nouveau vitrine 3, 

vous trouvez ce petit étui à kohol en bois (E 7985), de 8,5 cm de haut datant de la XVIIIèmedynastie : l'animal de Thot est assis sur un socle rectangulaire, joue droite appuyée contre une colonnette au chapiteau palmiforme qu'il agrippe des deux mains : vous aurez compris que non seulement il est censé permettre au mort de passer sans encombre de sa vie ici-bas à celle de l'Au-delà mais, également, de lui assurer son retour à la lumière.

     Et si une preuve supplémentaire de toutes ces connotations symboliques, il vous fallait pour me croire, amis visiteurs, je vous renverrais à la lecture attentive de l'extrait du Papyrus Sallier que je vous ai proposé d'emblée ce matin.

     Si vous vous y référez, vous admettrez que Thot, sous sa forme de babouin, y apparaît à la fois lié au Tribunal de l'Au-delà et au palmier-doum qui, je le souligne derechef, croît dans les déserts, près des points d'eau et des nappes phréatiques peu profondes.

     De sorte qu'il soit confronté au Jugement des Morts qu'est la psychostasie ou aux conditions de sécheresse qui règnent dans la nécropole, c'est à Thot, - identifié dans ce cas au puits qui sauve celui qui a soif -, que le défunt s'adressera obligatoirement.

   

     Et, souligne encore ce texte important, c'est l'homme sage, capable de garder le contrôle de soi, qui triomphera de toutes les épreuves d'accession à l'Au-delà. Ce qui, a contrario, signifie que l'homme dépourvu de sagesse perdra, quant à lui, ses chances de survie.

    Si j'étais un jour amené à publier ces trois derniers entretiens au cours desquels nous avons évoqué la consubstantialité du palmier-doum et de ses fruits à l'une ou l'autre divinité, je pourrais très bien envisager un titre générique tel que :

DU PANTHÉISME AU SEIN DE LA PHYTOLÂTRIE  ÉGYPTIENNE


     Mais comme cela ne risque pas d'arriver de si tôt, je me contenterai d'espérer, en ce "mardi de clôture", avoir simplement réussi à vous sensibiliser aux raisons pour lesquelles une prière comme celle du Papyrus Sallier I, ou la figuration d'un défunt se désaltérant au pied d'un palmier-doum, ou la seule présence d'une noix, - fût-elle réelle ou modèle de faïence -, parmi le matériel funéraire acquirent une importance cardinale pour nombre de propriétaires de tombes soucieux de s'assurer une seconde existence.

     Du temps où elle tenait salon tous les mercredis à Paris, Madame Verdurin - je vous plonge quelques minutes dans Proust, vous l'aurez reconnu -, avant de partir pour la campagne, annonçait, du même ton que si le monde était en train de finir, précise la narrateur, le mercredi de clôture : "Maintenant, officiellement, il n'y a plus de mercredis. C'était le dernier pour cette année."

  

     Puis, elle ajoutait :

   Mais je serai tout de même là le mercredi. Nous ferons mercredi entre nous ; qui sait ? ces petits mercredis intimes, ce seront peut-être les plus agréables.

     Si vous concevez comme quelque peu factice cette clôture, vous aurez parfaitement compris, amis d'ÉgyptoMusée, qu'elle est en réalité pour ce qui me concerne promesse d'une nouvelle saison de rendez-vous hebdomadaires, d'une nouvelle année académique pendant laquelle je compte bien poursuivre en votre compagnie la découverte chaque mardi des vitrines de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.

     Excellentes vacances à tous.

     Et retrouvons-nous, voulez-vous, le mardi 2 septembre prochain ...

BIBLIOGRAPHIE

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, pp. 118-20 et 284-7.

BARUCQ André/DAUMAS François,

Hymnes et prières de l'Égypte ancienneParis, Éditions du Cerf, 1980, pp. 359-60.

BONNAT  Sylvie

Les jardins d'orfèvrerie des tombes du Nouvel Empire. Essai d'interprétation, dans ERUV I, Montpellier, 1999, p. 213.

GUILHOU  Nadine

Génies funéraires, croque-mitaines ou anges gardiens ? Étude sur les fouets, balais, palmes et épis en guise de couteaux, dans ERUV  I, Montpellier, 1999, p. 388. 

MENU  Bernadette

L'arpentage, le roi et les dieux, dans ERUV  I, Montpellier, 1999, p. 95.

PROUST  Marcel

A la recherche du temps perdu, V, Sodome et Gomorrhe, Paris, Gallimard, Livre de Poche 1641-1642, 1966. 

WALLERT  Ingrid

Die Palmen im Alten Ägypten, MÄS 1, Berlin, Verlag Bruno Hessling, 1962, pp. 52-3 ; 79-81 ; 97-8.