Quel auteur décrit mieux que Zweig la passion et les sentiments ? Dans cette oeuvre à mi-chemin entre la nouvelle et le roman court, Zweig fait le récit poignant d’un amour immense et dévastateur, dont le drame sera de rester dans l’ombre, anonyme. Allergiques au romantisme échevelé, s’abstenir.
Un écrivain reçoit une longue lettre le jour de son 41ème anniversaire. Dans cette lettre, une femme inconnue lui déclare l’amour qu’elle lui a porté toute sa vie, un amour entier et inconditionnel qui aura coloré toute son existence, jusqu’à son issue inévitable et tragique.
En une soixantaine de pages, Stefan Zweig nous dévoile l’histoire de cette inconnue qui, pour s’être pris à l’âge de 13 ans d’un amour immédiat et absolu pour son voisin de palier, un écrivain de 25 ans léger et fantasque, verra son destin sacrifié sur l’autel de la passion. Zweig décrit avec une finesse et une délicatesse inégalées cet amour dévorant et nous fait suivre pas à pas la vie de cette femme dont chaque geste, chaque action, chaque pensée, sera tournée vers cet amant qui ne la reconnaîtra jamais. Plusieurs fois leurs chemins se croiseront, plusieurs fois elle passera fugitivement dans sa vie, plusieurs fois il l’aimera, mais sans que jamais son image ne s’imprime dans son esprit ou dans son coeur.
C’est donc le drame d’un amour non partagé que nous conte Zweig, Zweig que seuls les personnages maltraités par le destin intéressaient. Une passion extrême, exclusive et destructrice, proche de la folie, mais narrée avec infiniment de grâce et de retenue, dans une écriture sobre et magnifique de subtilité. Au niveau de la structure, Zweig utilise dans cette nouvelle la technique du récit enchâssé, pour mieux mettre en exergue la vanité poignante de la passion, et de la vie entière, de cette inconnue. L’histoire démarre et se clôt donc à travers le regard de l’écrivain, au moment où il ouvre la lettre, puis une fois qu’il a terminé cette lecture singulière.
L’émotion monte ainsi tout doucement tout au long du récit, et le coeur du lecteur se serre progressivement jusqu’à un épilogue court mais ô combien émouvant, lorsque l’écrivain réalise la passion terrible dont il a été l’objet sans le savoir. Et l’existence de cette amante qui lui a consacré sa vie et dont, même après la lecture de la lettre, le visage ne lui reviendra jamais clairement, tel un halo évanescent et insaisissable.