Cet article est un compte rendu de l'article de Quentin DELUERMOZ paru dans Les Collections de l'Histoire n°60 consacré à "La Révolution française" (2013- pp. 84-88).
Notre époque est-elle malade de son histoire ? On pourrait le croire à observer depuis la deuxième moitié du XXe siècle tous ces passés qui ne passent plus que par des manifestations publiques et politiques de l'histoire. L'article de Quentin DELUERMOZ montre cependant que notre époque n'a pas le monopole de cette lecture mémorielle et que le XIXe siècle a régulièrement été traversé par le souvenir omniprésent de 1789.
Dans l'écriture même de la charte de 1814 mettant en place le régime de la Restauration, la place de la Révolution dans l'histoire française est évoquée puisqu'il est indiqué que le nouveau régime a pour mission de « renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompu ». Ainsi, le nouveau pouvoir royal a pour ambition de s'inscrire dans la continuité de l'Ancien Régime tout en essayant néanmoins d'y intégrer quelques acquis révolutionnaires.
Or, c'est justement lorsque ce délicat équilibre est rompu que la mémoire de la Révolution française refait surface par l'intermédiaire de ses symboles : la garde nationale ou encore les arbres de la liberté. L'historien Alain Corbin parle alors de « réitération » de la Grande Révolution avec néanmoins quelques particularités, dont les barricades, lors des "Trois Glorieuses" du 27, 28 et 29 juillet 1830.
Quelques années plus tard, en février 1848, la mémoire révolutionnaire s'invite à nouveau dans les esprits : « on s'appelle "citoyen" dans les rues, on signe "salut et fraternité", on ouvre des "clubs" suivant l'expression retrouvée de 89, la parole se libère ». Alphonse de Lamartine déclare ainsi que : « le sang de 1793 déteignait sur la République de 1848. Il fallait dès le premier jour, laver ces tâches, répudier toute parenté entre les deux époques » (Histoire de la révolution de 48). De même, le Journal des travailleurs renforce les liens entre les deux événements en précisant que « 93 et 48 » sont « deux sœurs qui, bien qu'étroitement liée, ne se ressemblent pas ». Il s'agit donc encore une fois d'une réminiscence naturelle de la Grande Révolution avec laquelle on souhaite néanmoins prendre des distances.
Enfin, « le spectre révolutionnaire » réapparaît en 1870. Dès l'annonce de la République à Alger, on forme des comités révolutionnaires. À Paris, le terme de « Commune » fait notamment référence à l'insurrection parisienne d'août 1792. Mais on retrouve aussi dans les archives l'utilisation d'un vocabulaire qui ne laisse aucun doute sur l'usage mémoriel de 1789 : « citoyen », « club », « garde nationale ». La mise en scène du pouvoir ne laisse également aucun doute puisque le 5 avril 1871, l'église Sainte Geneviève redevient le Panthéon des Grands Hommes, comme cela avait été le cas le 4 avril 1791.
Une de l'hebdomadaire Le Point du 18 avril 2013
La France du XIXe siècle n'a cependant pas le monopole de l'utilisation mémorielle de la révolution française. La révolution russe de 1917 y faisait explicitement référence et on n'en retrouve également des traces lors du Front populaire en 1936 et des événements de mai 1968. A chaque fois, c'est l'usage d'un vocabulaire spécifique qui permet de faire resurgir cette référence historique dans un contexte contemporain.