~~ LA MÈRE SAUVAGE (d'après Maupassant)
Le fils Sauvage avait trente ans Quand la guerre commença. Laissant sa mère seule au logis, Il s’engagea. Cet hiver fut rude en Normandie. La neige couvrait les champs. La mère Sauvage, dans sa chaumière, Continua sa vie ordinaire. Elle allait au village uniquement Pour acheter sa nourriture. Puis elle retournait à sa masure.
Un détachement Allemand Vint occuper ce bourg normand. Les soldats furent logés Chez les villageois, La plupart du temps dans des greniers. La vieille, qu’on savait riche, en eut trois. C’étaient des grands garçons Aux yeux bleus, aux cheveux blonds, À l’épiderme blanc, demeurés gras malgré Les fatigues qu’ils avaient endurées.
Pour cette femme âgée, Ils se montraient prévenants. Ah ! Ils n’étaient pas fainéants ! On les voyait balayer, Porter les seaux d’eau, Laver le linge, frotter les carreaux Éplucher les pommes de terre, Comme trois bons fils autour de leur mère. On disait d’eux dans le pays : « En v’là trois qu’ont trouvé leur logis ! »
Ne pensant qu’à son fils, La mère Sauvage leur demandait : -« Vous savez où est parti Le 23ème régiment français ? » -« Nous, bas savoir. Non, bas vu. » Un jour à midi, on lui apporta un papier. Elle ajusta ses lunettes et lût : ‘’Votre fils a été tué par un boulet. J’étais à son côté. Je vais vous rapporter son porte-monnaie. Je vous salue amicalement. Victor Roman.’’ Le pli était daté de trois semaines. Sur le coup, la mère Sauvage ne pleura pas Elle demeura tellement hébétée Qu’elle ne souffrit pas même. Elle pensa : ‘’V’là qu’ Jean est tué,…après l’ pè. »
Toutefois, peu à peu, Les larmes montaient à ses yeux Et la douleur Envahissait son cœur. Elle ne l’embrasserait plus, son grand ! Elle se mit à table avec ses Allemands. Les soldats dévoraient. Mais elle, mûrissant une idée, Ne put rien manger : -« J’ vas vous monter un peu d’ foin dans l’ grenier. Vous aurez moins froid quand vous dormirez. Les trois allemands l’aidèrent Et ensuite, se couchèrent Sur le fourrage parfumé. La vieille alla étaler Une couche de paille au rez-de-chaussée. Elle y mit le feu. Toute la maison flamba.
Devant son logis détruit, Armée de son fusil, La mère Sauvage guetta De crainte qu’un des soldats Ne s’échappât. Quand elle vit Que c’était fini, Elle jeta son arme dans le brasier. Arrivaient, des paysans, Des villageois, des allemands... Un officier prussien qui parlait français Lui demanda : -« Où sont vos soldats ? Comment le feu a-t-il pris ? » -« C’est moi qui l’ai mis. »
L’officier cria un ordre en allemand. On la saisit vivement. En face d’elle, douze hommes s’alignèrent. Puis de dix mètres reculèrent Elle ne bougea pas. « Feuer ! » La mère Sauvage s’effondra.